Paralyser la France, l’ultime stratégie des syndicats pour obtenir le retrait de la Loi Travail

Le bras de fer ne cesse de se tendre entre le gouvernement et les syndicats opposés à la loi Travail. Tandis que les automobilistes se ruent sur les stations-essence par peur du manque, la totalité des raffineries est ce mardi matin entrée en grève et le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a appelé à généraliser le mouvement dans tous les secteurs, une fuite en avant dans le conflit qui est on ne peut plus risquée.

Les motivations des syndicats

Lorsqu’il a livré son analyse des nouveaux événements et de l’implication grandissante des syndicats auprès du JDD, Stéphane Sirot, enseignant en histoire du syndicalisme à l’université de Cergy-Pontoise, n’a pas manqué de noter cette intention de « durcir la ligne chez les organisations qui chapeautent le mouvement, CGT en tête. Ce crescendo s’explique en grande partie par l’accélération de la procédure institutionnelle et l’usage du 49.3 par le gouvernement. »

Le durcissement est important pour se faire entendre selon le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, qui regrette notamment que le gouvernement choisisse la force plutôt que l’écoute, comme il le disait à RTL : « Ça fait un petit moment qu’on constate que le gouvernement ne veut pas entendre les mobilisations de rue, les diverses manifestations. Je rappelle que le conflit est engagé depuis plus de 2 mois et demi maintenant (…). Après plusieurs mois de conflit, l’opinion publique est toujours à 74 %-75 % défavorable à ce projet de loi et face à ce que nous on demande, c’est-à-dire l’écoute de ceux qui ne sont pas contents on choisit de bomber le torse, gonfler les muscles… c’est une position qui conforte ce qu’on connaît depuis un petit moment : pas de dialogue, le 49-3 à l’Assemblée ». 

Loin de se sentir acculés ou désespérés, les membres de la CGT tels que Catherine Perret, la représentante de la CGT sur France Info notent que « la mobilisation paye. Quand les salariés se mettent massivement en grève, ils obtiennent effectivement des avancées. Nous nous réjouissons pour les routiers, mais ce n’est pas juste qu’on fasse un geste uniquement pour eux ». Aussi quand rien ne semble suffisant, la CGT estime selon elle bon de s’accrocher : « Nous irons jusqu’au bout. Nous allons encourager les salariés partout à voter la grève et sa reconduction », a indiqué Catherine Perret. « Il faut que tous les secteurs professionnels se mettent en mouvement pour obtenir le retrait de la loi. »

Si la conviction avec laquelle la CGT se lance dans la bataille surprend, pour Stéphane Sirot, une explication est toute trouvée : « Ce qui change en revanche, c’est l’attitude de la direction de la CGT. En 2010, à l’époque de Bernard Thibault, les dirigeants de la CGT n’encourageaient pas à des formes d’actions plus radicales. Aujourd’hui, avec son nouveau secrétaire Philippe Martinez, la CGT veut renouer avec la lutte syndicale. »

Les réactions tendues à l’Elysée

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis estime qu’« une loi peut toujours s’améliorer, mais quand elle s’améliore, elle ne peut pas être retirée. Et ce ne peut pas être une centrale syndicale qui fait la loi ».

Adoptant un ton toujours plus dur, le Premier ministre Manuel Valls a annoncé depuis la Cisjordanie où il est en déplacement que « ce qui est inacceptable, c’est de voir des Français être obligés de faire la queue pendant une demi-heure, 45 minutes à leur station-service, de prendre en otage l’économie. Ce qui est inacceptable, c’est qu’une minorité veuille prendre en otage notre pays. » Pour lui, « Il n’y aura pas de retrait du texte sinon on ne peut plus réformer dans ce pays (…) L’idée d’un conflit frontal, c’est vieux, c’est ancien, c’est conservateur. Prendre ainsi en otage les consommateurs, notre économie, notre industrie, continuer des actions, ce n’est pas démocratique. »

Selon les informations de l’AFP François Hollande dénonce quant à lui « un blocage » décidé « par une minorité ». Or on note qu’il y a quelques jours, alors que la CGT qui était alors cible de critiques de ses opposants et notamment de la droite (en particulier sur le fait que la CGT représente moins de 3 % des salariés), Philippe Martinez avait rappelé à RTL que « à elle seule, la CGT a plus d’adhérents que l’ensemble des partis politiques en France et c’est eux qui nous parlent de légitimité. Chacun devrait balayer devant sa porte (…) Plus de 80 % des salariés ont peur de se syndiquer parce qu’ils ont peur de la répression. »

Néanmoins, quand Catherine Perret persiste et signe en disant : « nous sommes toujours ouverts à la négociation, mais nous demandons en préalable à la fois le retrait du projet de loi et l’ouverture de négociations pour un autre code du travail. Aujourd’hui, il compte 300 pages de dérogations obtenues par les patrons », cela montre bien une fois encore qu’aucun des deux camps ne souhaite relâcher les efforts. Pourtant des inquiétudes liées aux faits de 2010 inquiètent nombre d’opposants à la loi Travail.

Le précédent de 2010

Dans son interview avec le JDD, Stéphane Sirot rappelle que « la situation est comparable avec celle de 2010, lors des manifestations contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy, où le secteur des raffineries était déjà mobilisé. »

On se souvient qu’en 2010, les forces de l’ordre étaient également intervenues de manière « énergique ». À l’époque le secrétaire d’Etat aux transports, Dominique Bussereau, avait justifié cette intervention par les forces de l’ordre en expliquant qu’« On ne peut pas se permettre une pénurie d’essence, il faut penser à toutes celles et tous ceux d’entre nous qui ont besoin de se déplacer (…), aux entreprises, aux transporteurs routiers, tout ce qui fait la vie de notre pays, d’où ces décisions » de lever les blocages. La décision avait été prise de par « la volonté de garantir un approvisionnement correct. »Il affirmait alors qu’« Il n’y aura pas de problème d’approvisionnement en cette fin de semaine. » Des paroles qui ne sont pas sans rappeler les interventions récentes pour nous rassurer quant aux risques de pénurie.

Stéphane Sirot garde néanmoins une vision tranchée sur la suite des événements : « sur les deux dernières décennies, hormis en 2006 avec la loi sur le CPE (et l’écotaxe en 2013, NDLR), les mouvements sociaux ont tous systématiquement connu l’échec. Ce fut le cas en 2003 avec le mouvement des fonctionnaires contre l’allongement de la durée de cotisation, en 2007 avec les cheminots et la RATP, en 2010 avec la réforme des retraites… Il faut noter que ce sont des mouvements qui ont vu émerger quelques actions de blocage éparses sans jamais être véritablement soutenues par les directions confédérales. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. »