Le recours à certaines pratiques de médecine esthétique a explosé depuis la pandémie de Covid-19, porté par une jeune génération dont les standards de beauté sont profondément influencés par les stars du Web. Une récente étude, publiée par la société Avisa Partners, établit le lien entre la fréquentation des réseaux sociaux et ces nouvelles représentations de soi, tout en suggérant de mieux encadrer des pratiques esthétiques baignant aujourd’hui dans un flou qui favorise toutes les dérives.
C’est le nouveau filtre qui fait fureur sur TikTok : « Bold Glamour », un effet visuel qui, généré par une intelligence artificielle, se surimpose sur le visage des – souvent très jeunes – utilisateurs de la plateforme. Aussi réaliste qu’indétectable pour un œil non averti, le résultat est immédiat et spectaculaire : des pommettes relevées, des sourcils parfaitement dessinés, une peau lisse, dénuée de la moindre aspérité, et ces fameuses lèvres pulpeuses que les influenceuses de Californie ou de Dubaï ont rendues si désirables auprès des jeunes filles du monde entier. Partagé des millions de fois depuis son apparition sur TikTok, le filtre « Bold Glamour » n’a pas manqué de susciter des réactions à la mesure de son succès, certains utilisateurs du réseau social chinois allant jusqu’à demander son interdiction pure et simple.
Et pour cause. « A force de se regarder à travers des filtres qui gomment toute imperfection, le moindre petit défaut physique devient une obsession », met en garde le psychologue Michaël Stora – une dérive compulsive qui peut aller jusqu’à la dysmorphophobie, c’est-à-dire l’obsession pour une petite imperfection ou un défaut souvent imaginaire. « Avec ce filtre, poursuit le fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, il n’y a plus la notion de fun, le côté ludique. Il est tellement réaliste que cela ne fait que renforcer le fait que l’image de soi est défaillante ». Dénonçant une « standardisation des visages », le psychanalyste redoute que « ce genre de filtres ne poussent encore davantage de jeunes (…) à avoir recours à la médecine ou à la chirurgie esthétique afin de correspondre à un soi »filtré » ».
Une nouvelle étude confirme le lien entre réseaux sociaux, dysmorphophobie et médecine esthétique
Une nouvelle étude, publiée en mars par Avisa Partners, pointe justement l’influence de TikTok sur le rapport au corps des adolescents et sur leur surconsommation d’actes de médecine esthétique souvent injustifiés et parfois dangereux.. Intitulé TikTok, Botox & Dark Web : injections à comparaître ?, le rapport dresse le constat d’une explosion de la pratique clandestine de la médecine esthétique et de son cortège de dérives. « Gonflements du visage, infections, nécroses, amputations… nombreux sont les témoignages de victimes d’injections ratées d’acide hyaluronique ou d’autres substances visant à »corriger » l’apparence », relève la société parisienne d’intelligence économique, d’affaires internationales et de cybersécurité, qui a étudié, via des dizaines de milliers de contenus en ligne, « le rôle des réseaux sociaux dans la banalisation des soins esthétiques et dans l’essor d’une demande d’actes low cost pratiqués (…) hors de tout cadre médical, mais aussi d’une offre de produits vendus illégalement sur le Dark Web ».
Revenant sur l’accélération spectaculaire de cette tendance depuis les premiers confinements, Avisa Partners met comme Michaël Stora en lumière la normalisation de l’apparence physique promue par les stars des réseaux sociaux, et l’avènement d’une beauté standardisée accentuant les complexes des personnes les plus fragiles, au premier rang desquelles les jeunes générations. Le rapport revient aussi sur le flou encadrant, en France, les pratiques de médecine esthétique, théoriquement réservées aux seuls professionnels de santé. Si une loi datant de 2009 encadre bien ces actes médicaux, l’absence de décret d’application a entretenu un vide juridique dans lequel se sont engouffrées toutes sortes d’escrocs. La combinaison d’une demande exponentielle et d’une offre insuffisamment encadrée a donné naissance à un véritable « marché noir de la médecine esthétique », alimenté par des produits contrefaits eux-mêmes injectés, en l’absence de toute précaution sanitaire, par des charlatans et « pseudo-spécialistes » opérant hors de tout contrôle.
Comment enrayer un tel raz-de-marée sanitaire et sociétal ? Parce que cette tendance procède de multiples facteurs, à la croisée de la psychologie, de la technologie, de la médecine et de la loi, aucune solution miracle n’existe. L’étude d’Avisa Partners préconise notamment d’améliorer l’information sur ces pratiques, de développer un site Internet pédagogique et de resserrer les règles entourant la publicité et le marketing autour de la médecine esthétique. Elle invite également à « garantir une médecine esthétique de qualité et de proximité », à publier enfin le décret d’application de l’article L1151-2 du Code de santé publique, et à mettre sur pied une formation « accessible, exigeante et validante ». Enfin, le document appelle à « donner un caractère exceptionnel aux traitements de médecine esthétique aux patients âgés de moins de 18 ans », en s’assurant notamment de l’accord, écrit, de leurs parents ou tuteurs.