Les récents incendies en Gironde ou en Bretagne préfigurent les dangers auxquels seront exposées les forêts à l’avenir. Incapables de s’adapter aussi rapidement que le changement climatique le leur impose, les forêts en stress hydrique ont besoin de l’intervention renforcée de l’homme pour limiter la prévalence et l’intensité des futurs « méga feux ».
« L’apocalypse de chaleur » tant redoutée s’est bien abattue sur la France. Symptomatique d’un changement climatique s’invitant désormais au cœur de l’Europe, la vague de températures extrêmes ressenties en début de semaine dernière a largement contribué à alimenter les incendies qui ont ravagé, en Gironde, près de 21 000 hectares de pinède et, au cœur d’une Bretagne que l’on croyait pourtant – à tort – protégée de la fournaise, plusieurs milliers d’hectares de végétation autour des Monts d’Arrée.
Une sensibilité feu météorologique plus accrue
Brutale, la prise de conscience des conséquences du dérèglement climatique sur les forêts françaises est à la mesure de la violence de ces incendies dont la menace, jusqu’alors diffuse, se précise dans l’Hexagone.
Comme en témoignent les récents incendies observés en Bretagne ou en Pays-de-la-Loire, il y a une « remontée de la sensibilité feu météorologique sur des territoires qui n’étaient historiquement pas concernés », mettait déjà en garde, l’année dernière, Mathieu Regimbeau, ingénieur chez Météo France. Autrefois circonscrit aux régions les plus méridionales du pays, comme le Sud-Est, le risque incendie s’étend dans le temps, dans l’espace et en intensité, concernant désormais l’ensemble du territoire français. En 2019, 3 000 feux ont ravagé 15 000 hectares de forêts, soit davantage qu’au cours de la période 2007-2019 (3 600 incendies, 11 400 hectares brûlés). Et rien ne laisse présager que cette tendance puisse s’infléchir dans les années à venir, bien au contraire : ainsi, d’ici à 2050, ce sont 50% des forêts métropolitaines qui seront soumises à un risque incendie élevé, d’après un rapport publié en 2020 par le ministère de la Transition écologique.
Si le changement du climat ne peut, à ce stade, être évité, des actions peuvent et doivent être entreprises de toute urgence afin de limiter, autant que faire se peut, la propagation des feux de forêt. La première d’entre elles repose sur la prévention et la communication : neuf feux sur dix étant d’origine humaine (chantiers de BTP, activités agricoles, mégots de cigarettes jetés, barbecues), le grand public comme les professionnels doivent être systématiquement sensibilisés aux risques d’incendie : la superficie brûlée est ainsi moindre dans les régions au sein desquelles une politique de prévention est en place depuis longtemps. Le second axe d’efforts passe par la gestion forestière, la prévalence du risque incendie étant directement corrélée à l’intensité ou à la régularité de l’intervention humaine en forêt. Parmi ces pratiques, le débroussaillement pour éviter les combustibles naturels (herbes, feuilles, petits bois…) et donc la propagation de l’incendie ou encore le maintien d’un bon état des pistes d’accès pour les pompiers. Comme le précise Stéphane Viéban, Directeur général de la coopérative forestière Alliance Forêts Bois au quotidien Sud Ouest : « la forêt cultivée est travaillée pour être à la fois productive et beaucoup moins sensible au feu. Elle est débroussaillée et accessible ».
La gestion forestière, une aide indispensable pour s’adapter à la nouvelle donne climatique
« Les forêts entretenues sont les plus résilientes. Renforcer la gestion et la surveillance à l’échelle de chaque massif forestier, c’est le meilleur moyen de protéger la forêt et les habitations », confirme la sénatrice Anne-Catherine Loisier, rapporteuse d’une mission de la chambre haute sur le sujet. A ce titre, « les obligations légales de débroussaillement (OLD) sont insuffisamment mises en oeuvre », regrette François Pimont, ingénieur de recherche à l’Inrae, selon qui ces OLD représentent pourtant « des facteurs clés pour réduire les sollicitations thermiques aux voisinages des bâtiments ». Au-delà du seul risque incendie, la gestion forestière participe également à l’adaptation de nos forêts au changement climatique ; comme le rappelle Françoise Alriq, directrice adjointe de la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), « le changement climatique fragilise les forêts et le phénomène est trop rapide pour elles. Il faut les protéger, les aider à s’adapter en les gérant avec humilité, comme le font les forestiers ».
En effet, le réchauffement climatique entraîne sur les arbres des conséquences structurelles et à long terme. Les canicules et la baisse des précipitations alimentent une sécheresse qui place les arbres en état de stress hydrique : ceux-ci perdent leurs feuilles ou leurs aiguilles, leur croissance ralentit, leur taux de mortalité augmente. Les arbres stockent également moins de carbone et en rejettent davantage. Le manque d’eau, conjugué aux températures élevées, favorise chez certains sujets les conditions menant à une embolie gazeuse, c’est-à-dire à l’arrêt du flux d’eau liquide en provenance du sol à cause de la présence de bulles d’air dans le circuit hydraulique. Morts de déshydratation, ces arbres secs représentent autant de « carburant » pour les incendies futurs. Ce stress hydrique est, « finalement (…), le facteur déterminant. C’est ce qui va déterminer la virulence des feux », explique François Pimont.
Certes, la forêt a toujours su faire preuve de résilience naturelle et n’a pas attendu la main de l’homme pour s’adapter aux changements, constants, des paramètres de son environnement. Des mécanismes d’adaptation qui n’en demeurent pas moins dix fois trop lents face à la rapidité du réchauffement climatique, ce qui rend l’intervention humaine absolument nécessaire pour tenter d’atténuer le phénomène. Inévitables, ces interventions se traduisent, notamment, par le renouvellement forestier, qui consiste à reconstituer les peuplements sinistrés, à adapter les peuplements vulnérables à la nouvelle donne climatique ou encore à améliorer les peuplements pauvres, comme les taillis, particulièrement propices à la propagation des incendies. Plus que jamais, il va donc falloir travailler « avec » la nature pour espérer limiter les effets du dérèglement du climat.