Depuis des années, l’avènement de l’industrie agro-alimentaire soulève des questions à propos des produits alimentaires, notamment concernant leur qualité nutritionnelle qui serait en chute libre. Pourquoi nos aliments ne nous nourrissent pratiquement plus ?
« Après des décennies de croisements, l’industrie agroalimentaire a sélectionné les légumes les plus beaux et les plus résistants, mais rarement les plus riches sur le plan nutritif », explique Philippe Desbrosses, docteur en sciences de l’environnement à l’université Diderot Paris-VII.
En effet, une dizaine d’études universitaires canadiennes, américaines et britanniques, publiées entre 1997 et aujourd’hui, prouvent qu’existe une chute vertigineuse de la présence de nutriments dans nos aliments. Les travaux réalisés lors de ces études sont résumés dans une autre étude plus récente de Brian Halweil, chercheur au Worldwatch Institute, organisation de recherche environnementale aux basée à Washington, États-Unis. Cette étude s’intitule « Still no free lunch » et traite de la « calorie vide », qui serait selon B.Halweil « grasse, sucrée, mais inutile pour la santé ».
Ainsi, tous nos aliments et même ceux réputés sains auraient vu leur contenance baisser en vitamines A et C, calcium, magnésium, protéines, phosphore, fer ainsi que d’autres minéraux ou oligo-éléments. Cette baisse, suivant les variétés, implique une division de ces apports par deux, par vingt-cinq ou parfois par cent, et ce en cinq décennies.
Prenons notre pomme des années 50, par exemple la Transparente de Croncels obtenue par les pépinières Baltet à Troyes en 1869. Cette dernière fournissait au consommateur 400 mg de vitamine C contre 4 mg pour les Golden standard des supermarchés. L’orange est aussi désignée : il y a 50 ans, une orange suffisait presque à fournir les AJR en vitamine A (apports journaliers recommandés). Aujourd’hui, il faudrait en manger 21. Les pêches également : il en faudrait 26. La pomme de terre ne contiendrait plus du tout de vitamine A. D’autres produits comme le brocoli sont pointés, ce dernier serait 4 fois moins riche en calcium, un ratio de 12,9 mg en 1950 contre 4,4 en 2003 selon une étude de l’université du Texas.
Aujourd’hui, la viande contiendrait 2 fois moins de fer. Pour expliquer ce phénomène, il faut s’intéresser aux céréales nourrissant les bêtes. Ainsi, soja, blé et maïs contiennent beaucoup moins de fer, zinc et cuivre que dans les années 1950 selon une étude parue en 2006 dans le Journal of the science of food and agriculture. Par répercussion, l’animal consommé se trouve lui aussi pauvre en nutriments. De plus, le lait aurait perdu avec le temps ses acides gras essentiels (aux cellules au cerveau et au système nerveux).
Les facteurs de cette perte nutritive des aliments sont multiples et font effet domino, permettant d’arriver à la conclusion que plus les rendements augmentent, plus la concentration de nutriments est faible. Végétaux cueillis trop tôt, sols appauvris par les méthodes intensives, croissance plus rapide à l’aide d’engrais, ou encore sélection variétale standardisée sont les faits les plus significatifs de cette chute.
L’agriculture biologique, plus respectueuse des pratiques, propose des aliments à la qualité nutritionnelle plus convaincante et représente une alternative. Les produits de cette agriculture se trouvent malheureusement encore hors de portée pour la majorité des consommateurs. Manque de moyens ou d’intérêt pour certains, questions de priorités pour d’autres, les produits bio peinent à se voir démocratisés et l’érosion génétique en marche actuellement ne prendra pas fin dans de telles circonstances.
Pour tenter d’être le moins touché par cette perte d’apport nutritionnel, il faudrait choisir des aliments mûrs et produits de manière non intensive. Il faudrait également s’intéresser aux variétés oubliées, un peu comme le fait la Ferme de Sainte-Marthe, grainetier bio près de la ville d’Angers.
En tout cas, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) déclarait déjà en 2011 que « les trois quarts de la diversité génétique des cultures agricoles auraient disparu au cours du dernier siècle ». Pourra-t-on un jour compter sur une des 1400 collections de variétés de culture éparpillées à travers le monde, telle que la réserve mondiale de semences du Svalbard en Norvège ?