La bataille des étiquetages alimentaires fait rage en Europe et en France, opposant les tenants de conceptions divergentes de l’équilibre alimentaire ou de l’impact environnemental des produits que nous consommons.
Peu couteux à mettre en œuvre, efficaces d’un point de vue politique… Depuis plusieurs années, les systèmes d’étiquetage sont à la mode dans les différents États européens. Réclamés par des consommateurs désireux de mieux connaître l’impact de leurs achats sur leur santé ou celle de la planète, ces dispositifs sont également de plus en plus prisés par les responsables politiques. Et pour cause : une fois le système d’évaluation adopté, l’essentiel des coûts économiques reposent ensuite sur les entreprises les plus mal notées, contraintes d’améliorer leurs produits pour continuer de séduire les consommateurs. Mais avant de pouvoir apposer tel ou tel logo sur un emballage se déroule une étape cruciale, bien que méconnue du grand public : celle du choix du mode d’évaluation et des critères retenus, critères qui doivent permettre aux consommateurs de faire la part entre les « mauvais » et les « bons » élèves. Un processus délicat, loin de faire l’unanimité.
La bataille de l’Eco-Score
Ainsi de l’étiquetage environnemental. Le débat sur cet « Eco-Score », qui a pris de l’ampleur en France depuis l’adoption, en février dernier, de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, divise les acteurs de l’agroalimentaire. D’un côté, cinq poids lourds du secteur (Auchan, Fleury-Michon, Terrena, Sodebo et Advitam) défendent « La Note Globale », un indicateur notant, sur une échelle de 1 à 100, les caractéristiques d’un produit en fonction de critères tels que la santé humaine, le bien-être animal, la traçabilité, la responsabilité sociale des entreprises ou le respect de l’environnement. De l’autre, un consortium rassemblant le supermarché en ligne La Fourche, les applications pour smartphone Yuka, ScanUp et Etiquettable et l’association Open Food Facts, qui propose une note basée sur l’analyse du cycle de vie (ACV) du produit, évaluant son impact de la fourche à la fourchette.
Problème : les quatorze critères retenus (parmi lesquels l’utilisation des sols, la consommation d’eau ou les émissions de CO2) par les promoteurs de cette seconde approche, et rassemblés dans une base de données de l’Ademe, baptisée « Agribalyse », font en réalité la part belle aux produits issus de l’agriculture intensive, moins gourmande en intrants, à produit équivalent, que certaines pratiques pourtant plus respectueuses de la nature. Conscients de ces écueils, les concepteurs de cet Eco-Score tempèrent donc l’ACV en ayant recours à d’autres critères, tels que la présence de certains labels de qualité ou encore les efforts réalisés en matière d’emballage. Au risque de rendre leur initiative complètement illisible par des consommateurs ne sachant plus à quels critères se vouer…
Quoiqu’il en soit, le gouvernement a donné jusqu’à la fin de l’année aux industriels du secteur pour s’accorder sur un étiquetage environnemental consensuel. Le débat ne fait donc que commencer et, au vu des intérêts en jeu, il promet d’être animé.
L’Europe divisée sur l’étiquetage nutritionnel
La situation n’est pas plus claire ni avancée en ce qui concerne l’étiquetage nutritionnel. Ici aussi, plusieurs systèmes – et donc, plusieurs « philosophies » – de notation opposent les acteurs du secteur, la bataille se jouant cette fois au niveau européen. Dans le cadre de sa stratégie intitulée « farm-to-fork », la Commission européenne a en effet lancé une consultation publique sur un futur étiquetage obligatoire. Nul doute, à ce titre, que de nombreux acteurs concernés par cette problématique, et ce quels que soient leur domaine d’activité ou leur taille, feront remonter auprès de l’exécutif européen leurs préoccupations : ici encore, les sommes en jeu sont colossales, et de l’adoption de tel ou tel système d’étiquetage pourrait dépendre l’avenir d’entreprises, voire de filières agroalimentaires européennes toutes entières.
Le débat se cristallise entre plusieurs propositions aux conceptions radicalement opposées, en particulier entre le Nutriscore et le Nutrinform. Le premier système de notation est soutenu par la France et l’Allemagne, et dont le code couleur – du vert au rouge, et de A à E – figure d’ores et déjà sur quantité de produits alimentaires disponibles en supermarchés. Une approche qui favorise les aliments contenant des protéines, des fruits et des fibres, au détriment de ceux affichant une trop forte teneur en sucres ou graisses saturées. Mais pour ses détracteurs, le Nutriscore ne tient pas compte des quantités effectivement consommées, reléguant ainsi dans les tréfonds de son classement – et hors des caddies et autres tote bags – des produits pourtant unanimement célébrés pour leurs qualités gustatives et nutritionnelles, comme l’huile d’olive extra-vierge, le parmesan et, plus généralement, la plupart des spécialités de la gastronomie méditerranéenne. Et ce au profit de sodas light certes peu caloriques mais tout aussi peu nourrissants…
Son principal concurrent est le Nutrinform, un système d’étiquetage quant à lui soutenu par l’Italie mais qui pourrait recevoir le soutien d’autres nations qui ont déjà publiquement exprimées leurs réticences face au Nutriscore, comme la Hongrie, la Roumanie ou la République tchèque. A la différence du Nutriscore, ce système défend une approche plus globale de la notation alimentaire, prenant en compte la notion de portion ou celle d’impact environnemental.
Des arguments que ne manqueront sans doute pas de faire valoir auprès de la Commission européenne de nombreux acteurs espagnols – à l’image de Pedro Barato Triguero, le président du syndicat de l’huile d’olive et des jeunes agriculteurs (ASAJA) ou d’Agustin Herrero, à la tête des coopératives espagnoles –, grecs – comme Vangelis Divaris, du club des amis de l’huile d’olive –, portugais – Dina Almeida, la plus importante productrice de porc du pays – ou bien évidemment italiens – comme les dirigeants de la Confagricultura ou des Coldiretti.. Les oreilles et boîtes mail des technocrates de Bruxelles n’ont pas fini de chauffer…