De l’éradication des moineaux à la plus grande famine connue

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Crédits : schauhi/Pixabay (montage: CitizenPost)

La méconnaissance de la nature peut aboutir à de terribles catastrophes humaines non anticipées. On pense évidemment au dérèglement climatique qui ne manquera pas d’avoir des conséquences dramatiques sur la Terre dans le futur. Néanmoins, dans le passé aussi, des incidents montrent l’importance des animaux et des végétaux sur le fragile équilibre des écosystèmes dont nous dépendons. La Chine en sait quelque chose : la campagne d’éradication des moineaux menée entre 1958 et 1960 a en effet amplifié la plus grande famine causée par l’humanité. Cette triste histoire démontre que même l’absence de battements d’ailes peut déclencher un cataclysme par réactions en chaîne.

Le Grand Bond en avant

Dans les années 1950, la République Populaire de Chine était un pays sous-développé. Mao Zedong, le secrétaire du Parti communiste, souhaitait toutefois propulser la nation en un temps record dans le top des économies industrialisées. Le grand Timonier mit alors sur pied un ambitieux programme de développement appelé le « Grand bond en avant ». Toutes les provinces furent concernées par cette modernisation à marche forcée des secteurs agricole et industriel.

En parallèle, le dirigeant imagina aussi la « campagne des quatre nuisibles » (aussi traduit en « quatre fléaux » ou « quatre pestes »). Cette politique publique visait à éradiquer quatre espèces animales dans le but de faire disparaître des maladies et d’augmenter les rendements agricoles. La Campagne des quatre nuisibles débuta en 1958, en même temps que le Grand bond en avant.

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Affiche de propagande pour la Campagne des quatre nuisibles. Traduction : Tuez les quatre nuisibles ! (Ding Hao, 1958)

La « campagne des quatre nuisibles »

La population en entier fut alors encouragée à chasser quatre espèces : les mouches, les moustiques, les rats et les moineaux. Les objectifs étaient de supprimer des maladies telles que la malaria, tout en éliminant des prédateurs de ressources. Un moineau mange en effet deux kilos par an de précieuses graines issus de l’agriculture. Les oiseaux privaient ainsi des millions de Chinois de nourriture. Tuer les moineaux était donc un bon moyen d’éviter une disette, voire une famine. Des incitations firent même mises en place pour encourager la population dans ce grand plan d’extermination de la biodiversité.

Dans certaines écoles par exemple, des récompenses étaient données aux élèves pour les queues de rat rapportées. Des insecticides étaient même distribués aux enfants. Cependant, les écoliers chinois se passionnaient surtout pour la chasse aux moineaux. Dans un prodigieux élan patriotique, on détruisait les nids, écrasait les œufs et tuait les oisillons. On jouait aussi du tambour afin d’empêcher les moineaux de se poser sur les récoltes, jusqu’à ce que les volatiles meurent d’épuisement dans les airs. La campagne d’éradication rencontra un franc succès. Après un milliard d’oiseaux abattus, le moineau disparut quasiment du territoire. Les céréales étaient donc sauves ! Hourra ! Quoique…

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Déjà en 1956, le Parti communiste chinois encourageait la population à tuer des moineaux. Traduction du texte : Tout le monde vient abattre des moineaux. (Bi Cheng, 1956)

Quand les moineaux ne sont plus là, d’autres dansent

Ce que ne savait pas Mao Zedong, ou ce qu’il avait ignoré, c’est que les moineaux ne picorent pas seulement les céréales. Ils mangent aussi un tas d’insectes et raffolent particulièrement de larves de sauterelles et de criquets. Si la campagne d’éradication fut une grande réussite dans un premier temps, les autorités chinoises commencèrent à se rendre compte que la population de sauterelles et de criquets explosa dès 1960. Or, ces insectes ont un très gros appétit pour les récoltes et ils se reproduisirent bien plus vite que les oiseaux. Comme quatrième cible à abattre dans la Campagne des quatre nuisibles, les responsables communistes remplacèrent alors en urgence les moineaux par les punaises.

Le Grand bond en arrière

C’était cependant trop tard. En effet, en parallèle, la politique de modernisation du Grand Bond en avant se passait mal… très mal même. Problèmes logistiques, gonflement des rendements afin d’éviter les sanctions, mauvais temps, transfert forcé de main-d’œuvre des champs aux usines… tout cela enrayait la modernisation des appareils productifs chinois. L’explosion de la population des sauterelles et de criquets s’ajouta donc à ces nombreux problèmes. Le peu de récolte que les paysans chinois arrivèrent à garder pour eux était en effet aussitôt ravagé par les insectes.

Finalement, l’éradication des moineaux et l’échec du Grand bond en avant facteurs aboutirent à la plus grande famine causée par la folie des Hommes. De 1958 à 1962, entre 20 et 50 millions de personnes moururent de faim. Il s’agit d’un bilan dramatique, auquel il faut rajouter un milliard d’oiseaux et certainement autant de rongeurs, tous exterminés pour satisfaire un vain élan de modernisation.

Source image : chineseposters.net