George Soros, l’Open Society Foundations et les ONG environnementales : un déficit de transparence ?

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George_Soros_- 2012 - Crédits : wikimedia - Niccolò Caranti

Fondée en 1983 par le milliardaire controversé George Soros, l’Open Society Foundations est un réseau de fondations opérant sur un spectre d’activités particulièrement large : défense des droits de l’homme, santé publique, promotion de la démocratie et de réformes économiques et sociales. Le nom de l’OSF est en effet directement inspiré du concept de « société ouverte », initialement développé par Henri Bergson avant d’être popularisé par Karl Popper via son œuvre La Société ouverte et ses ennemis (1945). Ce concept est au cœur de l’engagement public de M. Soros, et adapté par ses soins, comme l’illustre le titre d’une conférence [1] de l’homme d’affaires organisée par l’OSF en 2011 : building open societies.

En tant qu’organisme ayant pour ambition d’amorcer et entretenir des changements sociétaux profonds, l’OSF s’intéresse également à la sphère environnementale via le financement d’ONG, ce qui apparaît parfois comme un paradoxe au regard de certains investissements réalisés par M. Soros dans les énergies fossiles (cf. infra). Dans sa communication officielle, l’OSF affirme en outre accorder « des milliers » de financements chaque année, mais un cruel manque de transparence est observé quant aux détails et aux montants des dons ou prêts accordés. En outre, l’OSF a-t-elle vraiment la volonté et les moyens de s’assurer que les productions (enquêtes, rapports) des organismes qu’elle soutient soient solides (c’est-à-dire fondées sur des faits recoupés) ? Les systèmes de contrôle sont-ils suffisants pour éviter que les organismes prennent certains raccourcis ? L’article s’intéressera ici à un cas spécifique survenu en 2021 mettant en lumière un certain manque de transparence des projets soutenus par l’OSF.

George Soros semble entretenir un rapport ambigu avec les problématiques environnementales

Le soutien de l’Open Society Foundation a des ONG environnementales apparaît passablement ironique dans la mesure où George Soros a déjà réalisé de gros investissements dans l’industrie du charbon, peu clémente pour la planète. A l’été 2015 en effet, le milliardaire a investi plus de 2 millions de dollars dans deux géants de l’industrie du charbon, Arch Coal et Peadbody Energy (la plus importante entreprise privée du secteur). Un choix qui n’est pas sans provoquer des froncements de sourcils à la lumière de déclarations passées de l’intéressé. En 2009, George Soros avait en effet qualifié le charbon de « létal pour le climat » lors du sommet de Copenhague.

Au dernier trimestre 2017, le Soros Fund Management a investi dans onze entreprises opérant dans le domaine de l’énergie fossile, alors même que M. Soros avait donné 36 millions de dollars à 18 organisations participant à la People’s Climate March du 29 avril 2017. On le comprend, quand il s’agit de réaliser de juteux investissements, l’odeur âcre du charbon ne semble pas déranger le milliardaire outre mesure.

Outre cette ambiguïté et ces contradictions apparentes, George Soros est une personnalité de premier plan qui laisse rarement indifférent. Si sa réputation sulfureuse provient en partie d’une certaine fantasmagorie de la figure du milliardaire tout puissant agissant dans l’ombre, elle découle aussi d’éléments bien factuels. En 1992, le milliardaire américain d’origine hongroise avait par exemple spéculé contre la livre sterling, entraînant sa dévaluation de 15% et sa sortie du Système Monétaire Européen (SME). L’opération a rapporté plus d’un milliard de dollars de bénéfice [2] à George Soros. En 1999, le prix Nobel d’Economie Paul Krugman [3] a vertement critiqué les actions de George Soros, arguant que ce dernier choisissait ses investissements dans l’optique de déclencher des crises financières pour son propre profit.

La critique de George Soros et de son Open Society Foundations est trop souvent affublée du sceau infamant du complotisme. Si beaucoup de contenu en ligne à ce sujet verse en effet dans une sur-interprétation parfois délirante de l’influence et du pouvoir de l’OSF, il serait à l’inverse erroné de nier la force de frappe financière de cette organisation, et donc l’influence qu’elle peut exercer. En outre, si on ne saurait présupposer sans preuve les intentions cachées que l’Open Society Foundations servirait à travers ses investissements, le soutien de l’OSF à une multitude d’ONG peut poser des problèmes plus « méthodologiques ». Le fait de bénéficier d’un sponsor aussi prestigieux et généreux sur un plan financier pourrait peut-être expliquer que certaines d’entre elle soient tentées de se reposer sur leur lauriers sur un plan opérationnel. L’Open Society Foundations est une structure qui brasse tant de projets et finance tant d’organisations que le niveau d’audit appliqué aux activités des ONG bénéficiaires est susceptible de s’en ressentir. Comment en effet s’assurer que l’OSF suive scrupuleusement la pertinence des rapports produits par les organismes qu’elle soutient ?

Quand une fondation néerlandaise soutenu par l’OSF pointe du doigt un distributeur français : déficit de transparence ?

En mars 2021, une coalition d’ONG majoritairement françaises (Canopée Forêts Vivantes, CPT, Envol Vert, France Nature Environnement, Sherpa et Mighty Earth) et des organisations représentatives des peuples autochtones de Colombie et du Brésil (OPIAC, COIAB…) ont attaqué le groupe Casino en justice, l’accusant de complicité avec la déforestation en Amazonie. Cette action est fondée sur un rapport produit par l’ONG parisienne Envol Vert en juin 2020. Ce dernier rapport est lui-même basé sur les conclusions d’une fondation néerlandaise nommé Center for Climate Crime Analysis (CCCA). Or, un document hébergé sur le site du CCCA indique que l’Open Society Foundations figure parmi les donateurs de l’organisme hollandais. Les liens entre le CCCA et l’Open Society Foundations ne s’arrêtent pas à un financement (dont le montant exact n’est pas divulgué). On note en effet des liens plus organiques entre les deux structures : le Director of Legal Strategy du CCCA Ben Batros a en effet été employé de l’Open Society Foundations pendant six ans (d’août 2010 à novembre 2016) et Alex Whiting, membre du conseil d’administration du CCCA depuis 2018, a dispensé une formation sur les droits de l’homme en partie financée par l’Open Society Foundations entre 2008 et 2009. Cette proximité se retrouve également sur un plan opérationnel, le Mémorandum de septembre 2021 sur « les impacts négatifs de l’industrie du bœuf au Brésil » ayant été produit de concert par le CCCA et le Open Society Justice Initiative (OSJI). On peut ici s’interroger sur un certain manque de transparence qui entoure d’une part les détails de l’enquête menée par le CCCA (la liste des 592 producteurs n’est pas accessible au public), et d’autre part le montant du financement octroyé par l’Open Society Foundations. Aucun document précis (montants, récurrences, contreparties) à ce sujet n’a en effet été publié par l’OSF ou le CCCA.

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Crédits : Cunningchrisw / Pixabay

Autre problème : le CCCA est basé au Pays-Bas et est donc intégralement dépendant de ses partenaires locaux pour la collecte de documents ou de témoignages. Les documents publiés sur le site de CCCA n’indiquent en effet pas qu’un de leurs membres se soit rendu sur le terrain en Amérique Latine. D’après le rapport de la fondation hollandaise, le groupe Casino aurait acheté de la viande provenant de trois abattoirs appartenant à l’entreprise JBS, eux-mêmes approvisionnés par 592 producteurs, dont plusieurs se seraient rendus coupables de déforestation à des fins d’élevage entre 2009 et 2020. Ainsi, l’action judiciaire menée tambour battant par une coalition d’ONG provient in fine d’un seul listing de 592 producteurs. On comprend aisément qu’une chaîne d’approvisionnement longue, avec de multiples intermédiaires et un large éventail de producteurs complexifie fortement l’identification des responsabilités. Le contraste entre la précision requise afin de mettre en cause avec fiabilité la responsabilité d’un acteur et la probabilité qu’un maillon de la chaîne d’information parvenant à une ONG européenne soit inexact a de quoi donner le vertige. Une information erronée à l’échelle locale entraînerait ainsi une investigation intrinsèquement vermoulue, d’où l’importance que les ONG européennes exercent un travail particulièrement minutieux de vérification et de croisement d’informations. Si on remonte la chaîne des éléments incriminés par les ONG, on réalise donc que la responsabilité de distributeurs européens – si elle était avérée – apparaît particulièrement diluée.  A la lumière de ces éléments, la campagne juridique et médiatique menée contre le distributeur français a de quoi interroger.

Sources :

[1] https://www.opensocietyfoundations.org/voices/george-soros-reflects-on-his-career-and-philanthropic-philosophy

[2] https://www.masterfengtrading.com/post/comment-george-soros-a-fait-sauter-la-banque-d-angleterre

[3]          Paul Krugman, The accidental theorist : and other dispatches from the dismal science, New York, W.W. Norton & Company, 1999, p. 160