La crise sanitaire et les confinements ont fait exploser la prévalence de l’obésité chez les enfants. Les stratégies de détournement des industriels de la fast food, qui transforment à l’extrême leurs produits pour obtenir une bonne note au Nutriscore, sont aussi en cause. Face à cette nouvelle vague épidémique, plusieurs spécialistes appellent à faire de l’obésité la grande cause du futur quinquennat.
C’est une déferlante que derrière les vagues successives de Covid-19, peu avaient vu venir. Alors que l’obésité infantile n’affectait, en France, que 4% des enfants depuis une vingtaine d’années, l’explosion, chez nos voisins européens, de la prévalence de cette pathologie à la suite de la crise sanitaire et des confinements successifs laisse entrevoir un scénario analogue dans l’Hexagone. Comme le pointe dans les pages du Figaro l’endocrinologue Philippe Froguel, professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres, l’obésité sévère a, depuis deux ans, doublé chez les jeunes Britanniques : au Royaume-Uni, quatre enfants de 6 ans sur dix sont aujourd’hui en surpoids, un sur quatre est obèse et 6% sont très sévèrement obèses. Si aucune étude similaire n’a encore été conduite de notre côté de la Manche, rien ne permet de penser que les petits Français soient épargnés par cette véritable épidémie.
Confinement, inégalités socio-économiques, détournement du Nutriscore : les causes de l’obésité infantile
Les causes de ce rebond sont bien identifiées ; structurelles, la plupart d’entre elles ont cependant été aggravées par la crise sanitaire et ses conséquences. La fermeture des écoles, des centres de loisirs et des lieux d’activité physique a accru la sédentarité d’enfants contraints de rester à la maison, un foyer au sein duquel le stress familial et les déséquilibres alimentaires ont renforcé les facteurs conduisant au surpoids. Sans surprise, ce sont les enfants issus des milieux les plus défavorisés qui subissent de plein fouet cette affection : toujours au Royaume-Uni, l’obésité touche 34% des enfants de cette classe sociale, contre seulement 14% de leurs camarades issus de catégories plus aisées. « Si l’on ne fait rien, alerte Philippe Froguel, ces enfants en surpoids à 6 ans seront des adolescents obèses (souvent en échec scolaire), des adultes handicapés physiquement, socialement et économiquement, puis des malades atteints précocement de maladies chroniques invalidantes et ruineuses pour la société ».
Face à un « enjeu majeur médical, sociétal et économique », poursuit le professeur, « il est urgent que les autorités sanitaires et responsables politiques des 27 pays de l’Union, dont le nôtre, se saisissent du problème et engagent un programme ambitieux pour refouler la vague de l’obésité de l’enfant qui risque d’emporter la santé publique française sur son passage ». « Le ou la prochain(e) président(e) de la France s’honorerait en s’engageant à faire de l’obésité de l’enfant une cause nationale. Nos enfants le valent bien, eux qui ont tant souffert depuis deux ans », conclut l’endocrinologue. Les campagnes entreprises, depuis plusieurs décennies, par les divers gouvernements français en matière de santé publique, semblaient pourtant jusqu’alors porter leurs fruits, en stabilisant tant bien que mal la progression du surpoids et de l’obésité chez les plus jeunes. Des efforts de prévention que semble avoir balayés la pandémie de Covid-19, bien aidée en cela par les stratégies pernicieuses de certains géants de la malbouffe.
Pointés du doigt depuis longtemps pour leur responsabilité dans la montée de l’obésité – notamment infantile –, les McDonald’s, KFC et autres Domino’s Pizza semblent ainsi avoir trouvé la parade ultime pour continuer d’écouler, chez les bambins, leurs produits riches en graisses et en sucres : depuis peu, ces chaînes de fast food affichent, non sans une certaine fierté, les « bonnes notes » obtenues par leurs frites et hamburgers selon l’indicateur alimentaire Nutriscore. « 70% des produits (…) KFC France obtiennent un Nutriscore compris entre A et C », se félicite par exemple la multinationale du poulet frit ; même son de clochez chez Domino’s Pizza, dont la Chicken Delight décroche elle aussi un élogieux « A » au classement Nutriscore. Un véritable tour de passe-passe qui ne s’explique, hélas, que par la capacité de ces industriels à transformer toujours davantage leurs produits, au détriment de leurs qualités nutritionnelles – et, en bout de chaîne, de la santé des enfants qui demeurent plus que jamais leurs cibles prioritaires.
Profitant des failles d’un algorithme du Nutriscore qui ne prend pas en compte le degré de transformation des produits, leur caractère industriel ou les quantités ingérées, les géants du fast-food modifient leurs recettes à grands renforts adjuvants et d’additifs pour rester dans les clous de l’indicateur nutritionnel… Et induire en erreur les consommateurs.
La santé des enfants d’aujourd’hui fera la santé des adultes de demain
Face aux stratégies de détournement des enseignes de fast food, « le temps d’alerter sur les dangers de la malbouffe est révolu », lancent dans une tribune au Monde Patrick Pessaux et Anne-Sophie Joly, respectivement président du Collectif d’écoresponsabilité en santé (Céres) et présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO), selon qui les résultats « insuffisants » du Nutriscore doivent laisser place à une « régulation plus contraignante » – notamment en termes de marketing alimentaire à la télévision et sur Internet.
Rappelant que « l’obésité infantile est d’une injustice insupportable (et qu’elle) est un déterminant à long terme de l’état de santé entraînant un risque accru d’obésité, de décès prématuré et de handicap à l’âge adulte », les deux spécialistes appellent à repenser les cantines scolaires en impliquant l’enfant et ses parents, à renforcer la pratique sportive ou encore à mettre en place « de réels parcours de santé et non uniquement de soin ». Il est, pour les deux experts, « désormais l’heure d’élaborer un réel »plan Marshall » et de faire de la lutte contre l’obésité infantile une grande cause nationale pour le prochain quinquennat, en mettant le curseur sur la prévention (…). La santé des enfants d’aujourd’hui fera aussi la santé des adultes de demain ».