Les métiers de l’artisanat continuent de séduire de plus en plus d’apprentis si l’on en croit le dernier baromètre ISM-MAAF, paru en août dernier. Encouragés par la réforme de l’apprentissage de l’été 2018, ces parcours qui facilitent l’accès à l’emploi font l’objet d’une attention nouvelle chez les jeunes cherchant à se reconvertir.
Voilà maintenant plusieurs années que l’apprentissage a le vent en poupe, et cette tendance à la hausse ne semble pas vouloir se démentir. Se vérifiant à l’échelle de l’ensemble du marché du travail, où le nombre d’apprentis a atteint 852 000 en 2023, la progression a notamment battu des records dans la filière artisanale avec 203 000 apprentis pour la même année. La promulgation de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » en septembre 2018 a donc porté ses fruits. Elle a du moins permis aux entreprises artisanales de moins de 20 salariés d’être plus attractives pour des profils d’apprentis que jusque-là elles peinaient à recruter.
C’est ce qu’explique Catherine Elie, directrice des études de l’Institut Supérieur des Métiers, à l’occasion de la publication du nouveau baromètre ISM-MAAF qui met en exergue la hausse de 5% du nombre d’apprentis pour l’année scolaire 2022/2023 et de 36% depuis 2018. « Non seulement le nombre d’apprentis est en progression constante (plus de 200 000 apprentis !), mais on observe également que le public de l’apprentissage s’est fortement diversifié. En accueillant de plus en plus d’apprentis aux parcours moins linéaires (élèves ou étudiants en réorientation, demandeurs d’emploi ou salariés en reconversion…), l’artisanat se distingue par une grande inclusivité et l’apprentissage s’impose comme une filière d’excellence pour les reconversions des jeunes adultes. » La réforme de Muriel Pénicaud semble avoir libéré un potentiel insoupçonné de vocations artisanales au sein d’une génération en quête de sens et d’épanouissement personnel dans le travail.
Réorientation académique et reconversion professionnelle
Alors que la majorité des apprentis sort toujours des rangs du collège (45%) ou suit une formation de niveau 3 comme les CAP (61%), l’artisanat draine de plus en plus de profils issus de l’enseignement supérieur ou de reconversions professionnelles. C’est désormais un apprenti sur cinq qui prépare un diplôme post-bac dans le secteur, la réforme ayant ouvert l’accès aux jeunes de 26 à 30 ans. Aussi, la hausse significative du nombre d’apprentis s’éclaire à la lumière de la diversification des parcours et du doublement en cinq ans du nombre d’étudiants réorientés. Le phénomène s’illustre significativement dans l’artisanat de fabrication où ces étudiants sont désormais majoritaires (57%) ou encore dans les services et le BTP (15%).
Quant à ceux qui ont quitté un emploi pour embrasser la carrière d’artisan, leur part a triplé, passant de 2 à 6% depuis 2018. Beaucoup d’entre eux abandonnent des métiers qu’ils avaient choisis par dépit et rêvent d’être coiffeurs, pâtissiers, menuisiers ou charpentiers. Les savoir-faire et la responsabilité entrepreneuriale des métiers de l’artisanat semblent correspondre toujours plus aux aspirations profondes d’une jeunesse avide de se réaliser à sa pleine mesure.
Féminisation des profils
La diversification s’est également opérée du côté des femmes apprenties, qui s’engagent davantage sur des voies professionnelles dans lesquelles elles étaient historiquement sous-représentées comme le déménagement ou les systèmes de sécurité. Leur présence s’est par ailleurs considérablement accrue dans les métiers de la pâtisserie où elles monopolisent désormais 53% des apprentissages mais aussi dans la prothèse dentaire (61%), la photographie (62%) et la fabrication de carrosserie (13%). En ouvrant les portes aux diplômes plus élevés et aux profils plus âgés, la réforme a permis aux femmes – qui sont en France proportionnellement plus diplômées que les hommes –, de se tourner vers les métiers de l’artisanat et de montrer par la même occasion ses vertus inclusives.
Des taux d’emploi convaincants
La quête de sens et le savoir-faire ne sont pas pour autant les seuls moteurs de la nouvelle génération d’apprentis-artisans. Ils peuvent aussi capitaliser, pragmatiquement, sur les progrès constants de l’insertion professionnelle dans les principaux secteurs artisanaux depuis 2018. Le taux d’emploi des apprentis à la sortie des principaux diplômes est ainsi passé de 64% à 70% selon le baromètre ISM-MAAF, pour une moyenne hors-artisanat de l’ordre de 65%. Avec la garantie d’obtenir un emploi rapidement, on comprend mieux l’enthousiasme des jeunes à signer des contrats d’apprentissage dans la filière. Un enthousiasme qui ne prend d’ailleurs pas de rides à l’obtention de leur diplôme puisque 40% d’entre eux décident ensuite de poursuivre leurs études pour développer leurs compétences.
Les bienfaits de l’apprentissage dans l’artisanat parlant d’eux-mêmes, et notamment dans les zones rurales où les petites et moyennes entreprises souffrent du manque de main d’œuvre. Il reste à espérer que cette dynamique positive ne fasse pas les frais d’une coupe budgétaire lors des débats au Parlement cet automne. Le coût pour les finances publiques a en effet été multiplié par 3,5 depuis 2018 pour s’élever à quelque 25 milliards d’euros par an. L’économiste Bruno Coquet, qui reconnaît que « la réforme de 2018 est une très bonne réforme », plaide pour une refonte du système permettant la réduction des coûts sans compromettre l’efficacité du dispositif structurel.