L’ancienne eurodéputée, Anne-Sophie Pelletier, connue pour son engagement contre les cigarettiers et leur influence au sein de la Commission européenne, s’est attirée les foudres des lobbyistes. Publiquement attaquée par Nicholas Whyte, cadre dirigeant du cabinet d’APCO Worldwide, qui défend les intérêts de Dentsu Tracking, qui gère la traçabilité du tabac en Europe et est « lié à plusieurs à titres à (l’industrie du tabac) », elle a récemment pris la parole dans un droit de réponse.
Trois eurodéputés vent debout contre le lobby du tabac
Son Livre Blanc sur le tabac, préparé avec un panel d’experts, de soignants et de militants associatifs, et corédigé avec Michèle Rivasi, ancienne députée européenne aujourd’hui décédée et Paul Larrouturou, lui ancien élu au Parlement européen, n’est pas passé inaperçu. Ce travail, rendu public il y’a quelques semaines, aspire surtout à préparer la future révision des deux directives européennes majeures relatives au tabac dans un sens moins favorable aux cigarettiers et plus conforme aux exigences de l’Organisation mondiale de la Santé.
De quoi faire perdre aux industriels du tabac, si elles sont suivies, leur capacité à maintenir une influence sur le système de traçabilité des produits du tabac actuellement en vigueur au sein de l’Union européenne, leur accès privilégié aux arcanes européens ou encore toute possibilité de sponsoring ou de publicité. Un enjeu d’actualité, sachant qu’un des leaders du tabac vient d’être condamné à près d’un million d’euros d’amende pour publicité illicite. Ce rapport est le résultat d’« un travail de longue haleine avec des acteurs reconnus dans la lutte contre le tabac tels que le Smoke Free Partnership, l’Alliance contre le Tabac, l’Université de Bath ou encore Olivier Milleron », cardiologue français star de la lutte contre tabagisme, précise Anne-Sophie Pelletier.
Michèle Rivasi avait quant à elle contribué à faire émerger « l’affaire » Jan Hoffmann, un ancien haut fonctionnaire de la Commission européenne parti occuper un poste de lobbyiste chez Dentsu Tracking, qui opère le système de traçabilité du tabac en Europe. « L’eurodéputée Anne-Sophie Pelletier a notamment rappelé que le choix de cette entreprise avait initialement été réalisé sans appel d’offre, puis renouvelé en décembre 2023 dans les mêmes conditions. Les clauses de ce contrat restent inconnues », évoquait alors Génération Sans Tabac, alors que cette même ONG estime que « l’embauche par Dentsu de Jan Hoffman, un ancien haut fonctionnaire européen auprès de la DG Santé, avait renforcé les soupçons de conflit d’intérêts ».
Tribune publique contre droit de réponse
Une approche offensive qui déclenche l’ire des représentants d’intérêts de Dentsu Tracking, dont l’un des cadres dirigeants s’est fendu d’une tribune à charge dans les colonnes de The Parliament Magazine, en juin 2024. Il rejette notamment les accusations liées au manque de transparence entre les lobbys et la Commission européenne. « En mars 2020, l’OCCRP (NDLR. Un réseau international de journalistes d’investigation) exprimait déjà des préoccupations quant au manque de transparence en matière de traçabilité du tabac », rappelle Anne-Sophie Pelletier, dans un droit de réponse transmis au média. Elle rappelle aussi que « (Dentsu Tracking) s’est inscrit au Registre de Transparence juste après le débat en session plénière sur ses agissements opaques (il y’a quelques mois), soit plus de six ans après l’obtention de son premier contrat avec la Commission européenne ». Et considère que « la transparence devrait être primordiale pour une entreprise qui gagne des millions d’euros grâce à un contrat de la Commission, mais (qu’) aucune trace de Dentsu n’apparaît avant le printemps 2024 ». De lourds griefs, donc. Plus largement, l’exigence d’une transparence plus forte dans les relations entre lobbyistes et Commission européenne n’est pas isolée à Bruxelles. « Il est important de rappeler que plus de 35 députés européens ont demandé plus de transparence à la Commission européenne en février 2024 », souligne Anne-Sophie Pelletier.
Face aux critiques de l’auteur qui évoque des « organisations factices » derrière les critiques contre Dentsu, les cigarettiers et le système actuel de traçabilité, Anne-Sophie Pelletier veut, là encore, jouer la transparence. « Je suis disposée à partager avec l’auteur de ma boîte mail où il ne trouvera aucun échange avec des organisations non enregistrées », affirme Anne-Sophie Pelletier qui, dans le même temps, dénonce des pressions reçues par certains lobbyistes. « Je serai heureux de (lui) fournir des messages du bureau londonien de sa société, APCO Worldwide, rédigés par une personne non répertoriée dans le Registre de transparence, où je suis « invité » à modifier mon communiqué de presse du 26 avril 2024 ».
Un travail poursuivi par la nouvelle Assemblée ?
« Il apparaît crucial que la nouvelle génération de députés européens maintienne le rôle de vigie du Parlement européen », conclut Anne-Sophie Pelletier, qui dénonce « des lobbyistes, dont la seule tactique est de dénigrer la démocratie sans jamais aborder les errements de leur client en matière de transparence ». Un message à la nouvelle Assemblée, qui aura notamment en charge la révision des deux directives tabac, dont celle concernant -entre autres- une éventuelle refonte du système de traçabilité.