Depuis plus d’une semaine, une publicité de la célèbre marque de jambon Aoste indigne la communauté végétarienne, tournée en dérision. Il s’agit d’un humour teinté d’aprioris sur un type de consommateur pourtant absent des rayons de boucherie-charcuterie.
« Nous sommes désolés si celle-ci a heurté votre sensibilité. Cette publicité se veut décalée et joue la carte de l’humour. Nous respectons toutes les différences sans jugement de valeur », s’excuse la marque Aoste sur Twitter. Mais que penser réellement de ces « excuses » ?
Le spot publicitaire de 30 secondes met en scène une famille végétarienne à table, dont le fils ainé déclare « en avoir marre de manger toujours la même chose, salade verte-céleri, céleri-salade verte… » Un schéma très réducteur brossé par la firme agro-alimentaire qui, utilisant « la carte de l’humour », montre des gens plus ou moins tristes, accessoirement fagotés comme des hippies et affichant un air ahuri. Au-delà des exemples d’ingrédients végétariens sans imagination évoqués par la marque, on attribue au fils ainé adolescent la position du rebelle qui désire vivement s’adonner aux « joies » de la charcuterie. Ce dernier point insinue à tort que les végétariens ne mangent pas de viande, et ce en dépit d’une privation qui les rend presque malades, tant la variété de ce qui compose leur menu laisserait à désirer. La réalité prouve que cela relève d’un choix personnel, autant que pourrait l’être le choix d’un style vestimentaire, d’une destination touristique ou même d’une idéologie politique ou d’une pratique religieuse. Les gouts et les couleurs ne discutent pas, paraitrait-il.
https://www.youtube.com/watch?v=4PS4Ora9qG0
La cuisine végétarienne est loin d’être une cuisine standardisée et en manque d’inspiration. Voici quelques exemples de ce qu’est susceptible de manger un végétarien : falafels sauce tahin, risotto aux champignons, tartinade de lentilles corail, velouté de courgettes à la noix de cajou etc. Vous pouvez y ajouter un nombre incalculable de soupes, gratins, salades, crumbles et autres desserts succulents. Certains « classiques » de la cuisine de maman ou de la « junk food » sont revisités avec succès tels que les lasagnes ou encore les hamburgers. Même les chefs étoilés de la gastronomie française s’y sont mis, comme le relatait cet article du CitizenPost publié le 16 septembre 2014.
Les 28 états de l’Union Européenne comptent au total environ 506 millions d’habitants (2013, Eurostat) dont 10 à 15 millions seraient végétariens. Ce n’est pas énorme, mais ce n’est pas rien non plus. Ce mouvement est apparenté à une prise de conscience grandissante face aux pratiques de l’élevage intensif devenu le standard de l’industrie agro-alimentaire mondiale. Chaque végétarien adhère à un ou plusieurs points idéologiques questionnant l’éthique.
Tout d’abord, le fait de tuer des animaux, mais également tout ce qui tourne autour de la façon de s’y prendre : conditions d’élevage, de parcage, d’abatage, ou encore la violence des procédés très souvent mécanisés. Ensuite, l’environnement est aussi un argument de poids puisque l’empreinte écologique des pratiques d’élevage intensif se traduit par des rejets importants en CO² et en méthane, une consommation mirobolante des ressources naturelles telles que l’eau (15 000 litres d’eau pour 1kg de bœuf contre 900 litres pour 1kg de pommes de terre). L’eau, ressource qui sera de plus en plus rare dans le futur, se retrouve polluée dans son cycle par des rejets de lisier au niveau des nappes phréatiques, puis des rivières et enfin des océans. Enfin, l’argument sanitaire met l’accent sur la volonté d’une partie des consommateurs à se soucier des procédés de fabrication, de la composition des aliments, mais également de leur traçabilité. En l’an 2000, 229 millions de tonnes de viande ont été consommées dans le monde, et l’on estime que le double le sera à l’horizon 2050.
Aoste moque les végétariens mais passe sous silence un bon nombre de détails concernant son propre cas. En 2011, le mensuel Politis évoquait la marque Aoste dans son article intitulé « Arnaque au “Made in France » agricole et gastronomique ». Le journal expliquait que la marque vend du jambon qui « n’est que le sous-produit d’une multinationale américaine » et que ses filiales (dont Aoste) « ramassent des carcasses de porcs dans tous les pays du monde (et en Bretagne) », voici pour la partie pratique. Politis estimait, à propos des productions de la marque Aoste que « le résultat n’a rien à voir avec la charcuterie de la ville italienne d’Aoste dont elle n’a plus le droit de se réclamer après de nombreux procès et surtout l’intervention (en 2008) de la Commission européenne qui a mis fin à cette tromperie organisée », mais que tout de même, « elle a sauvé son appellation trompeuse en installant ses usines dans la commune d’Aoste qui se trouve en Isère ; et vend ses produits sous le nom de “Jambon d’Aoste” ».
Aoste est, avec Cochonou et Justin Bridou, une des marques françaises situées sous la coupe du salaisonnier espagnol Campofrio, lui même qui appartenait jusqu’en 2013 à la multinationale américaine Smithfield Foods, plus grand transformateur mondial de viande de porc. Campofrio a été racheté par le chinois Shuanghui, avant d’être cédé au groupe alimentaire mexicain Sigma (Alfa Sab). Le Mexique justement, ce pays d’où provient une grande partie de la production mondiale de viande industrielle.
Quel cynisme que de vendre du jambon industriel en moquant les végétariens, communauté qui ne consomme même pas ce type de produits. Choquer ce type de consommateur même sous couvert d’humour, contribue également à véhiculer en général des informations erronées sur un mode de consommation alternatif qui se veut plus respectueux du règne animal et de l’environnement. Merci Aoste, et maintenant ouste !
Sources : Mr Mondialisation — Le Nouvel Observateur — Usine Nouvelle — Politis — HuffingtonPost