Commerce parallèle de tabac : Philip Morris pris la main dans le sac ?

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C’est un article passé inaperçu, mais qui est une bombe à retardement pour le numéro 1 mondial du tabac, Philip Morris International (PMI), propriétaire de Marlboro et d’IQOS. Le 11 novembre, le journal d’investigation suisse Gotham City donnait la parole au président de MSI Raoul Setrouk. Pour ce dernier, PMI favoriserait la contrefaçon des produits du tabac.

Dans un article intitulé « Le groupe Philip Morris accusé de favoriser la contrefaçon de cigarettes », Gotham City relate le différend qui oppose Philip Morris à l’un de ses anciens partenaires, Raoul Setrouk, président de Market Survey Intelligence (MSI). Depuis près de 20 ans, MSI travaillait pour PMI sur la lutte contre le commerce parallèle de tabac dans une centaine de pays. Mais début 2020, PMI résilie le contrat de MSI après avoir, selon Raoul Setrouk, repris à son compte le savoir-faire de MSI, raison pour laquelle Raoul Setrouk a déposé plainte contre Philip Morris le 2 novembre à New York.

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Une plainte pénale contre Philip Morris déposée à New York

Dans une plainte de 19 pages, Raoul Setrouk ne limite pas ses accusations à une atteinte de ses droits de propriété intellectuelle, il évoque également l’utilisation de logiciels d’espionnage pour écouter les téléphones portables, et la violation d’embargos.

Sur les commerces parallèles, considérés comme une des poules aux œufs d’or de l’industrie du tabac, qui, selon certains experts, inonderait les marchés de produits du tabac hors taxe pour contrer les politiques de santé publique, il affirme que le discours de Philip Morris International n’est que de la poudre aux yeux. Selon lui, les actions, la communication et les campagnes d’information du cigarettier visent en réalité à dissimuler sa responsabilité dans l’organisation et l’alimentation des trafics de tabac. S’il n’est pas le premier à l’affirmer — de nombreuses organisations de santé publique et des universitaires l’ont déjà fait —, il est en revanche l’une des premières issues des collaborateurs directs de l’industrie du tabac à dévoiler ainsi ses stratagèmes.

Un cigarettier à la fois organisateur et pourfendeur des trafics ?

Raoul Setrouk cite ainsi le Rapport annuel sur le commerce illicite, réalisé par KPMG, et financé à 100 % par les 4 géants du tabac, Philip Morris International, British American Tobacco, Imperial Tobacco et Japan Tobacco International. Ce n’est pas la première fois que le Rapport KPMG est ainsi brocardé. L’association antitabac le Comité National Contre le Tabac (CNCT) a déjà dénoncé d’une part sa méthodologie et d’autre part les manipulations rétroactives sur les chiffres. Cette fois, la critique vient d’un ancien partenaire de PMI.

Raoul Setrouk affirme par ailleurs que PMI a mis au point un système d’approvisionnement des réseaux français de contrebande via l’Algérie, des Marlboro de contrebande qu’on retrouverait à Barbès notamment. Compte tenu du demi-milliard d’euros de pertes annuelles que la France perdrait selon le consultant, ce sujet devrait être étudié par la Mission d’information qu’a lancée à l’Assemblée Nationale Éric Woerth, président de la Commission des Finances, sur les conséquences du confinement sur les recettes fiscales du tabac.

Nul doute qu’un tel manque à gagner fiscal, et toutes les violations de droit qu’il implique devraient attirer l’attention du député, afin de capter davantage de revenus en ces temps de disette budgétaire.

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Une plainte pénale contre Philip Morris en France ?

D’ici là en France, les choses semblent également évoluer sur le terrain judiciaire.

En effet, les accusations que formule Raoul Setrouk contre Philip Morris relèvent des articles 408 et suivants du code des douanes, qui prévoient des sanctions pénales pour les personnes physiques auteurs d’importations illégales de tabac. Même si les personnes morales ne sont pas visées, la Cour de cassation a considéré que les personnes morales ayant participé d’une manière quelconque à un délit de contrebande sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction (Cass. crim. 5 février 2003, pourvoi n° 02-82187). C’est sur cette base que Philippe Coy, président de la Confédération des Buralistes, ou Bernard Gasq, président de la Chambre syndicale des buralistes Ile-de-France et Oise, et qui s’insurge régulièrement contre les trafics de Barbès, pourraient porter plainte contre Philip Morris.

Par ailleurs, la fraude fiscale (en l’espèce une fraude à la Taxe à la Valeur Ajoutée) est réprimée par des sanctions fiscales prévues aux articles 1727 et suivants du CGI, qui là aussi génèrent potentiellement des sanctions pénales (articles 1741 et suivants du Code Général des Impôts). À ce titre, ce ne serait pas une première qu’une association reconnue d’utilité publique soit compétente pour pousser au respect du droit et de la politique de lutte anti-tabac. Le CNCT, l’Alliance contre le Tabac (ACT) présidée par le professeur Loïc Josserand, Anticor ou Contribuables Associés… beaucoup semblent qualifiées pour intenter une action pénale contre le géant du tabac et tenter de récupérer les recettes fiscales ainsi détournées.

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Les cigarettiers responsables d’une perte fiscale annuelle de 5 milliards d’euros en France ?

Pendant très longtemps, on a estimé que le commerce parallèle de tabac privait l’État de 3 milliards d’euros par an, et les buralistes de 250 millions d’euros par an. Avec le passage des paquets de cigarettes à 10 euros minimum, les pertes fiscales sont désormais estimées à 5 milliards d’euros par an, les 24 000 buralistes souffrant quant à eux d’un manque à gagner de 450 millions d’euros chaque année qui voit chacun d’entre eux fermer boutique à proximité de chaque État membre appliquant des prix moins élevés que ses voisins (c’est-à-dire chaque État membre voisin, la France appliquant le prix de vente au détail le plus élevé d’Europe continentale).

Raoul Setrouk formule également une autre accusation très grave. Selon lui, PMI aurait délibérément violé l’embargo américain en Libye, en décrivant les circuits utilisés par le cigarettier pour brouiller les pistes. Cette pratique de violation d’embargo ou de facilitation de contrebande semble être une pratique courante : l’Organisme de Lutte Anti-Fraude (OLAF) ayant longuement enquêté sur d’autres géants du tabac pour des faits similaires.