Impensable il y a encore quelques décennies, le marché du tabac est pris en étau, entre le succès grandissant de produits de substitution d’un côté, et la lutte contre le tabagisme de l’autre. Les géants du tabac tentent des manœuvres désespérées pour survivre.
France : 5% de fumeurs en moins en 5 ans
Le cowboy de la publicité Marlboro fait grise mine. Le temps de la toute puissance de l’industrie du tabac est révolu. En France par exemple, les chiffres sont spectaculaires: en deux ans, 1,6 million de personnes ont arrêté de fumer d’après le Baromètre santé. 30% de la population française fumait il y a cinq ans, contre 25% aujourd’hui. Passer sous la barre des 15% de fumeurs souhaitée par les pouvoirs publics n’a jamais semblé aussi atteignable.
Il faut dire que les différentes mesures de lutte contre le tabagisme portent leurs fruits. Avec la loi Evin en 1991, le décret sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics en 2006, la mise en place du paquet neutre en 2016, les augmentations régulières du prix du paquet de cigarettes, le remboursement des substituts à la nicotine comme les patchs, et une politique de prévention agressive auprès des plus jeunes, le nombre de fumeurs a baissé de manière spectaculaire.
C’est toute l’industrie du tabac qui en paie les conséquences. En France toujours, le dernier atelier de transformation de tabac à Sarlat-la-Canéda ferme ses portes, signant la fin de la filière tabac dans l’hexagone. Les chiffres de la chute de la filière sont sans appel : Dans les années 70, 41 000 agriculteurs produisaient du tabac sur 20 000 hectares. En 2018, ils ne sont plus que 670 à cultiver sur une superficie de 2700 hectares. Outre la baisse du nombre de fumeurs, la concurrence chinoise ou indienne et leur main d’œuvre à bas prix sonnent le glas de l’industrie du tabac en France.
Un recul mondial
La France n’est pas un cas à part. En Grande-Bretagne, le fabricant de cigarettes British American Tobacco (BAT, connu notamment pour ses marques Lucky Strike, Dunhill, Kent et Rothmans) a annoncé début septembre la suppression de 2300 emplois dans le monde. Les conséquences d’un cours en bourse qui a reculé de 41% en trois ans. Ses concurrents ne sont pas en reste : 28% de baisse du cours sur la même période pour Philip Morris, 32% pour Altria, et jusqu’à 49% pour Imperial Brands.
Les mastodontes du tabac n’arrivent plus à endiguer la chute. Philip Morris accuse un bénéfice net en baisse de 16% au troisième trimestre de 2019, et a du une nouvelle fois abaisser ses prévisions annuelles. Des chiffres surprenants, le tabac ayant toujours été jusqu’alors une valeur « refuge » pour les investisseurs qui pouvaient compter sur un socle stable d’utilisateurs dépendants à la cigarette. Mais il faut dire que sur ce secteur où la concurrence avec d’autres produits était inexistante, l’arrivée d’un nouvel acteur de poids a changé les règles.
La cigarette électronique séduit
En effet, l’arrivée de la cigarette électronique a bouleversé les habitudes des fumeurs. Et nombre d’entre eux ont décidé de franchir le pas vers une option supposée moins nocive et moins coûteuse, et qui permettrait de favoriser la diminution voire la fin de la consommation de tabac. En tout, c’est près de 21 millions de vapoteurs quotidiens dans le monde (dont 3 millions en France, troisième marché mondial après les Etats-Unis et le Royaume-Uni), dont 98% d’anciens fumeurs de cigarettes classiques.
Avec 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, l’industrie de la vapote se porte très bien. Cela n’a d’ailleurs pas échappé aux grandes compagnies du tabac qui tentent par tous les moyens de compenser leurs pertes en changeant leurs stratégies. Le remariage entre Philip Morris et Altria fut un temps envisagé, avec en parallèle un rapprochement avec Juul. Et Altria a pris une participation de 35% à hauteur de 13 milliards de dollars sur le leader américain de la cigarette électronique en décembre 2018.
Mais même si les chiffres pour ces produits de substitution à la cigarette sont spectaculaires, leur futur s’annonce très incertain. Le président américain est monté au créneau : « Beaucoup de gens pensent que le vapotage c’est formidable. Cela n’a rien de formidable, cela créé plein de problèmes ». Le gouvernement de Donald Trump a annoncé mi-septembre que les cigarettes électroniques aromatisées seraient interdites à la vente, et ce afin d’endiguer leur popularité croissante, chez les jeunes notamment. En 2019, un lycéen sur quatre vapotait aux Etats-Unis. Juul a déjà anticipé et a annoncé mi-octobre une suspension des ventes de recharges aromatisées.
Avec une cigarette classique devenue impopulaire, et une électronique sur laquelle les Etats commencent à légiférer, l’avenir de l’industrie du tabac s’inscrit en pointillés. A part quelques embellies dans des marchés émergents comme en Afrique, elle semble plus que jamais menacée par la volonté mondiale d’un retour à un environnement plus sain.
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