Déchéance de nationalité : La France peut-elle vraiment créer des apatrides ?

Après les attentats de Paris en novembre 2015, le débat sur la déchéance de la nationalité française envers les terroristes fait rage. CitizenPost s’est intéressé à l’apatridie, terme employé pour qualifier les individus sans patrie.

En réaction aux attentats de Paris de novembre 2015 (130 morts et 352 blessés), mais également aux actions terroristes de janvier 2015 (17 morts et 23 blessés), le président François Hollande a récemment décidé de modifier la Constitution française en introduisant la déchéance de nationalité envers chaque citoyen binational coupable de terrorisme envers la France.

Cependant, le débat se durcit depuis les attentats, et l’on parle d’étendre la déchéance de la nationalité française à tous les Français coupables de terrorisme, mais également d’une « extension de la déchéance de nationalité pour tous les crimes graves », dont les « crimes de sang », comme le réclame Florian Philippot, vice-président du Front national. La question de la déchéance de la nationalité, si la mesure s’étend à tous les Français, pose la question de l’individu sans patrie, ou apatride.

« Est apatride toute personne qui n’est considérée comme son ressortissant par aucun État en vertu de son droit sur la nationalité ou de par sa constitution » indique Phillippe Leclerc, chef de l’Unité de l’apatride de l’Agence des Nations Unies pour les réfugies. La Déclaration universelle des droits de l’Homme stipule quant à elle, dans son article 15, que « tout individu a droit à une nationalité », un contenu qui sera repris dans la Convention européenne sur la nationalité de 1997.

Jules Lepoutre, chercheur à l’Université de Lille indique que « depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la nationalité est devenue un droit de l’homme. Hannah Arendt et la Cour suprême des États-Unis l’ont montré : il s’agit du premier des droits. »

La question de l’apatride a été posée lors de la Convention de New York (sur la réduction des cas d’apatridie) adoptée le 30 août 1961 et qui est entrée en vigueur le 13 décembre 1975. Le but de cette convention était de donner quelques protections aux apatrides, comme par exemple qu’un apatride doit être traité de la même manière qu’un ressortissant d’un État. La France a signé cette convention le 31 mai 1962, mais ne l’a pas ratifiée tandis que le droit de la France à propos du fait de pouvoir créer (ou non) des apatrides fait débat :

Selon le constitutionnaliste Didier Maus : « juridiquement, il n’y a pas de texte international qui engage la France à interdire l’apatridie. » Mais selon un second constitutionnaliste, Dominique Rousseau, « sa simple signature [de la convention de 1961] engage [la France] à respecter l’esprit et le but du texte. »

Ainsi, nous ne savons pas si la France peut réellement créer des apatrides, même si la loi n° 98-170 de 1998 prévoit qu’un individu ne peut être déchu de sa nationalité dans le cas où le résultat rendrait notre déchu apatride, mais comme cette loi peut être changée, cela alimente une certaine confusion, surtout dans le climat actuel.

Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime qu’il y aurait (en 2011) plus de 12 millions d’apatrides dans le monde. Le nombre de ces personnes sans patrie a évolué juste après la Seconde Guerre mondiale alors qu’une solution avait été trouvée à l’époque, incarnée par le Passeport Nansen créé en 1922.

Le Passeport Nansen, distribué environ 450.000 fois pendant l’entre-deux-guerres, répondait aux situations d’apatridie de différents groupes, minorités et autres échappant à des conflits telles que : les réfugiés de l’ancien Empire russe fuyant la révolution d’octobre (comme les Russes de Shanghai), les Arméniens tentant d’échapper au génocide ou encore les Assyriens et autres minorités fuyant l’ancien Empire ottoman.

Credit: Wikimedia commons Couverture d’un passeport Nansen (Source : Domaine Public)

Les actuels 12 millions d’apatrides dans le monde résultent des ces mouvements plutôt anciens, mais également de phénomènes plus récents, comme la décolonisation de l’Afrique conduisant à un redécoupage des frontières puis à des conflits ethniques, ou encore plus proches de nous, lors de l’effondrement de l’URSS et la mise en place de nouveaux états, ou encore la dislocation de la Yougoslavie.

Sources : France TV Info – Le Monde – Lutte Ouvrière – Midi Libre