Le panoptique, modèle du monde carcéral ?

Un modèle architectural censé amorcer une réforme des prisons au XVIIIe siècle a été pensé par Jérémie Bentham et proposé à l’assemblée nationale française en 1791. Un modèle ayant fait l’objet de nombreuses études et d’applications plus ou moins réussies. Comment a été pensée cette prison modèle ?

« Introduire une réforme complète dans les prisons, s’assurer de la bonne conduite actuelle et de l’amendement des prisonniers, fixer la santé, la propreté, l’ordre, l’industrie, dans ces demeures jusqu’à présent infectées de corruption morales et physiques, fortifier la sécurité publique en diminuant la dépense au lieu de l’augmenter, et tout cela par une simple idée d’architecture, tel est l’objet de mon ouvrage. » Jérémie Bentham, lettre à Mr Garran, député de l’assemblée nationale, 1791.

Jérémie Bentham (1748-1832) était un philosophe, jurisconsulte et réformateur anglais, par ailleurs théoricien majeur de la philosophie du droit. Il imagine le plan d’une prison modèle, une « maison d’inspection » dont la base pourrait être reprise selon lui pour d’autres lieux de surveillance tels que les manufactures, hôpitaux ou écoles.

Le philosophe Michel Foucault écrivait en 1975, dans « surveiller et punir » que cette « visibilité organisée entièrement autour d’un regard dominateur et surveillant » est au cœur du modèle disciplinaire moderne. Mais qu’est ce que le panoptique ?

« Veiller à l’éducation d’un homme, c’est veiller à toutes ces actions », Jérémie Bentham, 1791.

Deux bâtiments sont emboités l’un à l’autre ayant l’apparence d’un seul édifice circulaire de 6 étages. A l’intérieur, une tour centrale permettant aux gardiens de surveiller l’intégralité des cellules ouvertes coté intérieur, avec une galerie à chaque étage favorisant la communication. Une surveillance optimale des prisonniers, du personnel mais également des visiteurs quels qu’ils soient, est effectuée par l’inspecteur en chef.

Plan du Panoptique de J.Bentham, 1791.

Ainsi, tout le monde présent dans la prison est susceptible d’être surveillé. Par exemple, il s’agit de bannir toute répression par effet de suspicion de surveillance, notamment concernant les violences entre détenus, ou encore la tyrannie subalterne entre un gardien et un prisonnier. Pour les prisonniers, l’exposition aux yeux de tous permet de passer d’une soumission forcée à une obéissance machinale et docile. Par ailleurs, la sécurité intérieure et extérieure du bâtiment est optimale et est pensée pour ôter toute intention de révolte ou d’évasion.

« Une cause de répugnance bien naturelle pour la visite des prisons, c’est l’infection, la fétidité de ces demeures[…] on verra dans la suite qu’on peut y établir une propreté aussi grande que dans les vaisseaux du Capitaine Cook ou dans les maisons hollandaises », Jérémie Bentham, 1791.

La tache de tous les personnels judiciaires peut être facilitée par une image plus positive de la prison, par le bias d’actions à caractère hygiéniste. Ainsi, la propreté est jugée essentielle, tant pour les locaux que pour les prisonniers. Les traitements ne sont pas inhumains et il apparait inutile d’attiser la haine ou la vengeance des détenus, sous peine de ne pas aller au bout d’une éventuelle réformation morale du détenu. L’accès aux soins et à la nourriture ne font pas défauts dans la pensée de J.Bentham.

Enfin, le philosophe se pose la question de la gestion intègre de la prison, permettant un fonctionnement idéal. Selon lui, l’idée architecturale à laquelle il a pensé serait inefficace si l’administration à la tête de la prison s’avère défaillante. Qui doit diriger la prison ? Une administration par contrat ou une administration de confiance ?

« De qui doit-on espérer plus de zèle et de vigilance à la tête d’un établissement de cette nature ?  Est-ce de celui qui a beaucoup d’intérêt dans son succès, ou de celui qui n’en a que peu ? Est-ce de celui qui partage les pertes comme les profits, ou celui qui a les profits sans les pertes ? Est-ce de celui dont les gains seront toujours proportionnels à sa bonne conduite, ou de celui qui est toujours sûr du même émolument, soit qu’il administre bien ou mal ? »

Sources : Le Monde – Le Panoptique de J.Bentham, 1791 (BNF)