Les citoyens contre la vidéo-surveillance

Vous ne pouvez pas les manquer en vous baladant dans les rues des villes du Royaume-Uni. Leurs yeux rouges suivent les moindres de vos mouvements, avec parfois plusieurs objectifs braqués sur vous en même temps. Les caméras de vidéo-surveillance sont partout, et surtout au Royaume-Uni, où l’on trouve une caméra pour 11 habitants. L’Angleterre est tout particulièrement visée, avec 8 villes comptant plus de caméras de vidéo-surveillance que Paris. Mais l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord comptent tout de même un nombre impressionnant de caméras comparé à nos standards français.

Plus impressionnant : la profusion des lieux où ces caméras sont implantées. On en trouve dans la rue, les bus, les jardins, les magasins, mais aussi les écoles, les hôpitaux, les salles de gym, les universités…

PLUS QU’UNE POLITIQUE, UN CREDO

Pourquoi une telle profusion de caméras ? Le Royaume-Uni a toujours été précurseur de leur utilisation. Les premières caméras étaient provisoires et ont été utilisées, en 1960, pour s’assurer du bon déroulement des manifestations de foules. Par la suite, dans les années 70, les caméras ont servi pour surveiller le trafic sur les autoroutes et les carrefours, où de nombreuses infractions étaient commises. La vidéo-surveillance du trafic routier s’est réellement étendue dans les années 80. Parallèlement,encouragée par le gouvernement de Thatcher,la police utilisera de plus en plus de caméras. Elles servaient en particulier pour surveiller la grève des mineurs de 1984.

Dans les années 90, la vidéo-surveillance connaît un véritable essor. D’une part, les particuliers commencent à en acheter pour la sécurité de leurs propriétés ; et d’autre part, le gouvernement investit 38 millions de livres (environ 49 millions d’euros) dans la vidéo-surveillance des espaces publics.

Plus qu’une politique, c’est un véritable credo. Le gouvernement de John Major accorde une confiance totale à ces systèmes de surveillances, rendus encore plus performants par la technologie, et n’hésite pas à placer explicitement la sécurité devant la liberté dans l’ordre de ses priorités. En 1994, il déclare : « Je me doute qu’il y aura des protestations au motif d’une menace contre les libertés civiles. Eh bien, je n’ai aucune sympathie contre les soi-disant libertés de ce type. »

Depuis, la priorité à la vidéo-surveillance a été maintenue, et les caméras se sont installées dans les écoles (beaucoup de salles de classe en sont maintenant équipées), les hôpitaux, mais aussi dans les lieux privés : voitures, jardins, et même dans la maison, avec des systèmes de surveillance qui étaient à Noël, classés parmi les cadeaux tendances…

DES RÉSULTATS MITIGÉS

Après un tel investissement, les résultats sont pourtant mitigés. D’un côté, elles sont maintenant largement utilisées par les forces de police. En effet, elles sont devenues un maillon essentiel dans le système de justice. La justice écossaise affirme par exemple que les caméras jouent un rôle déterminant dans 90 % des procès. Le dispositif est donc bien utilisé.

Cependant, d’autres chiffres semblent limiter ce succès apparent. Seuls 3 % des délits mineurs ont pu être évités à Londres depuis l’installation des caméras, alors même qu’il s’agit de la ville qui en compte le plus. Même lorsque des résultats plus positifs sont observés, ils sont largement limités par le coût de l’investissement nécessaire.

Un rapport commandé par le Ministère de l’Intérieur en 2005 (Home Office) fustige le coût astronomique de l’installation, et relève une relative inefficacité dans la réduction des délits, précisément ce pour quoi elles sont installées. Il conclut, devant le faible rapport coûts-bénéfices, que le « tout vidéo-surveillance » devrait être cantonné à certaines situations spécifiques où il est efficace (comme dans les parkings souterrains par exemple).

Cette inefficacité a déjà été remarquée depuis longtemps par les opposants aux politiques de vidéo-surveillance. En effet, comme John Major s’en doutait, des associations ont, depuis le début du développement de ces dispositifs, lutté contre la vidéo-surveillance. Ainsi, dès 1989, l’association Liberty publie Who’s watching you? Video surveillance in public places, s’opposant fortement aux politiques de vidéo-surveillance. Aujourd’hui, une multitude de petites associations s’opposent à ces politiques, faisant de la sensibilisation en utilisant en particulier les réseaux sociaux. On peut citer, parmi les plus importantes, la Big Brother Watch  et No-CCTV.

En France, les systèmes de vidéo-surveillance semblent connaître de plus en plus de succès. Au-delà des quelques villes qui se démarquent en la matière (Nice sous l’impulsion de C. Estrosi en particulier), la tendance semble être au développement de systèmes de surveillance, en particulier en ville. Alors va-t-on, à une moindre échelle, vers une « britannisation » de la surveillance de la population ? Dans beaucoup de villes, des mouvements se mettent en marche pour prévenir une telle évolution, comme les Détrackeurs, à Lyon.

LES DÉTRACKEURS : UN PROJET ÉTUDIANT VISIONNAIRE

Le 6 novembre dernier, onze étudiants en Master de journalisme à l’Université Lumière Lyon 2 lancent leur site internet lesdetrackeurs.fr. Celui-ci aborde le thème du traçage, en s’appuyant notamment sur des exemples lyonnais. Entremêlant vidéos, articles et infographies, son originalité vient de son interactivité. Sous un aspect divertissant, ce site internet vous propose une véritable expérience de navigation entre les diverses rubriques, abordant un grand nombre de sujets sur le traçage. Le site se divise en trois thématiques. Le visiteur est régulièrement sollicité, par le biais de questions et de jeux, ce qui le sensibilise plus fortement et rend l’ensemble du projet plus concret.

La première rubrique nous montre que le nombre d’objets capables de donner des informations sur nos faits et gestes est plus grand qu’on ne le pense. En cliquant sur la rubrique, vous êtes amené à participer à un jeu rapide, qui semble très simple : une image, sur laquelle quatre personnes attendent le bus, accompagnée de la question « Combien d’objets traceurs ces personnages portent-ils sur eux ? ». J’en compte trois. Je valide. Faux : il fallait en voir sept. Je commence alors à me plonger dans les différents articles. Cartes bancaires, cartes de fidélité, téléphones portables… Tous ces objets que vous gardez au quotidien avec vous se révèlent être de véritables banques d’informations sur vous. Axé sur la ville de Lyon, le site mène son enquête à l’échelle locale, utilisant des exemples lyonnais, notamment sur les TCL (Transports en Commun Lyonnais).

VIDÉOPROTECTION

Soixante-quatre. C’est le nombre de caméras devant lesquelles je passe quotidiennement en effectuant le trajet de chez moi jusqu’à mon université. C’est ce que m’apprend la carte de la rubrique Vidéoprotection, où sont recensées et localisées toutes les caméras, publiques ou privées, de Lyon et son agglomération. Tout comme dans la rubrique précédente, après vous être « amusé » à situer toutes les caméras de votre quartier, un éventail d’articles sur le sujet s’offre à vous. Ceux-ci traitent de manière synthétique, mais complète, les différents avantages et inconvénients de la vidéoprotection. S’ils essayent de ne se montrer ni pro ni anti-vidéoprotection, ils ne s’interdisent pas pour autant de prendre part au débat, et d’inviter le visiteur à en faire de même.

INTERNET

« Sur quel navigateur surfez-vous ? », « Quel moteur de recherche utilisez-vous le plus souvent ? », telles sont les questions qui vous accueillent dans la rubrique « Se faire tracer sur Internet ». Au fur et à mesure de vos réponses, vous voyez une infographie sur votre visibilité sur Internet évoluer en temps réel. Ainsi, j’ai personnellement appris que j’étais un « petit poucet », car il m’arrive de laisser tomber « des petits cailloux [sur mon] chemin virtuel ». Dans cette rubrique, lesdetrackeurs.fr s’intéressent aux nombreux moyens de traçage que présente le net : réseaux sociaux, e-mails, cloud computing, cookies… Tout est passé au peigne fin. La prise de conscience du nombre immense d’informations que nous laissons derrière nous pendant notre navigation inquiète. Mais les rédacteurs apportent également des solutions face aux problèmes soulevés : bloqueurs de publicité, logiciels de protection de l’anonymat ou encore effaçage des données de navigation.

PRISE DE CONSCIENCE, MAIS PAS DE PANIQUE

Voilà maintenant plus de deux mois que le site a été lancé, et les résultats ont été très bons. Grâce à son originalité et son interactivité, le site a fortement intéressé les médias. Cela lui a permis de rencontrer un succès local assez important, et son message a ainsi pris de l’ampleur. Aujourd’hui, si la fréquence de parution des articles diminue progressivement, on peut tout de même souligner que le sujet du traçage a été abordé sérieusement et approfondi dans de nombreuses enquêtes. Quant aux critiques, elles se montrent assez rares dans les commentaires laissés par les internautes. La seule qui revient assez régulièrement est celle de la prise de position. Dès leur présentation, les contributeurs insistent sur le fait qu’il n’y a aucune « prise de position militante ». « Militante » est le mot fort, car la prise de position est quasiment inévitable sur un sujet aussi sensible. Malgré cela, on peut considérer que ces jeunes journalistes ont réussi brillamment à trouver les mots et les moyens pour alerter et sensibiliser sans tomber dans la paranoïa. En effet, ils ne se contentent que d’informer sur le traçage, et mènent l’enquête sur nos droits. De plus, ils cherchent à montrer à ceux d’entre nous qui se sentiraient menacés qu’ils ont les moyens de se protéger. En bref, ils nous font réfléchir tout en nous incitant à ne pas céder à la panique.

Alexis Dumont et Elliot Maccarinelli

Article publié en partenariat avec Le Journal International