Qu’elles soient victimes d’attaques informatiques, de procédures judiciaires dispendieuses ou encore de harcèlement en ligne, de nombreuses petites communes sont aux prises avec des menaces qui dépassent, de loin, leurs ressources humaines et financières.
Une attaque informatique d’une ampleur « inédite » : dans la nuit du 20 au 21 janvier dernier, la mairie de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine, a été victime d’une cyberattaque menée par un groupe de hackers baptisé Lockbit 2.0. Les pirates se sont emparés de données présentes sur les systèmes informatiques de la municipalité, en menaçant de les rendre publiques si la commune ne s’acquittait pas, sous une quinzaine de jours, d’une rançon dont le montant n’a pas été communiqué. « Nous ne paierons aucune rançon, c’est certain », assurait alors le maire de Saint-Cloud, Eric Berdoati, tout en voulant rassurer ses administrés sur le fait qu’aucune « donnée sensible » n’avait été dérobée. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris et l’Anssi, l’agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques, a de son côté été chargée de repérer l’éventuelle divulgation sur Internet des données volées..
Si l’histoire se finit plutôt bien pour les Clodoaldiens, leur mésaventure rappelle que les petites et moyennes communes françaises sont régulièrement confrontées à des menaces extérieures, face auxquelles elles ne disposent ni des moyens financiers et matériels ni des ressources humaines sur lesquelles les grandes métropoles peuvent s’appuyer pour défendre leurs intérêts et ceux de leurs habitants. Qu’elles soient informatiques, comme dans le cas de Saint-Cloud, économiques, judiciaires, voire fantasques, ces menaces de toutes sortes prennent le plus souvent les municipalités et leurs élus au dépourvu. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de toutes petites communes comme la France en compte tant : comment, en effet, se protéger des abus et même riposter lorsqu’une ville ou un village ne compte que quelques agents – voire aucun, dans ces minuscules bourgs où le maire s’improvise tour à tour secrétaire de mairie, responsable de la voirie et médiateur de voisinage ?
Les Épesses, victimes du Puy-du-Fou
Dans un autre registre, dans l’esprit de milliers de visiteurs du Puy-du-Fou, les Épesses est le village indéfectiblement associé au parc d’attractions historique fondé par Philippe de Villiers. Fierté locale et véritable poumon économique de la région, le parc étouffe pourtant les agriculteurs du village, les privant de terres agricoles et leur imposant ses nuisances sonores.
Dans les colonnes du journal Fakir en mai 2022, on a pu ainsi apprendre que la direction du Puy-du-Fou rachetait systématiquement toutes les parcelles agricoles des environs pour se développer, au détriment des agriculteurs locaux, souvent en fermage, n’étant pas propriétaires des terres qu’ils exploitent et qu’ils peinent à acquérir à cause des prix proposés par le parc.
Plus grave encore : c’est tout le petit village des Épesses et ses dizaines de familles d’agriculteurs qui subissent les nuisances sonores et visuelles du parc aux dizaines milliers de visiteurs : « le gros problème, c’est le bruit et les feux d’artifice des spectacles. La nuit, nos animaux, ils sont 100% à l’extérieur (…) et nos vaches doivent subir les feux d’artifice. Elles sont paniquées. Avec mon père, on doit les surveiller chaque soir de spectacle, toute la nuit, pour les calmer en leur parlant, vérifier qu’elles ne cassent pas les clôtures pour s’échapper (…) Depuis deux ans, ils font passer un avion d’époque type bombardier. En janvier 2020, j’ai dû interrompre une traite, les vaches étaient terrifiées » explique ainsi un agriculteur du village dans les colonnes du journal
Mais que peut faire le petit village agricole des Épesses face à la colossale machine économique qu’est devenu le Puy-du-Fou ? Politiquement, la commune paraît bien faible.
Les Baux-de-Provence menacés de faillite
Ailleurs en France, c’est aussi un spectacle – juridique celui-ci – qui menace la survie d’un autre village. Les Baux-de-Provence, petite bourgade du sud de la France peut s’enorgueillir de faire partie des sites de l’Hexagone les plus prisés des touristes. Accueillant sur son territoire des millions de visiteurs chaque année, qui viennent déambuler dans ses ruelles typiques et profiter de l’imprenable point de vue sur les paysages provençaux, le village est aussi l’un des plus endettés du pays ; du moins, au prorata du nombre d’habitants, qui ne dépasse pas 400 âmes – et même une vingtaine seulement dans le centre-ville historique qui attire tant de visiteurs.
La commune est en effet endettée à hauteur de plusieurs millions d’euros à la suite d’un jugement du Tribune de Grande Instance de Tarascon, qui l’a condamnée, en 2018, dans une affaire l’opposant aux propriétaires d’une société de son et images, Cathédrale d’images.
Cette dernière exploitait, jusqu’au début des années 2010, d’anciennes carrières situées sur le territoire des Baux-de-Provence, qu’elle avait transformées en attraction touristique. Remplacée en 2011 à la suite d’un appel d’offres public lancé par la mairie des Baux, Cathédrale d’images a, pendant près de dix ans, multiplié les procédures contre la municipalité pour rupture abusive de son bail, allant jusqu’à finalement obtenir, en 2018, pas moins de 5,8 millions d’euros de dommages et intérêts. Face à « cette décision excessive sur le fond, comme sur la forme », tel que la qualifiait alors le maire de l’époque, la commune des Baux-de-Provence, alors proche de la banqueroute, a été contrainte de vendre certains actifs publics… Non content de cette décision, Cathédrale d’image, aujourd’hui dirigé par l’ancien journaliste de Minute, Jean Montaldo, a, l’année suivante, intenté de nouvelles procédures judiciaires envers la commune et le repreneur de l’activité, allant cette fois-ci jusqu’à demander le versement de plus de 15 millions d’euros d’indemnités.
Une illustration, presque caricaturale si elle n’était pas si potentiellement dramatique, de la manière dont les petites municipalités françaises peuvent se retrouver démunies face à des enjeux et intérêts qui dépassent, de loin, leurs capacités de riposte.
Issou : quand une petite ville des Yvelines fait les frais des blagueurs d’Internet
Dépassés, les habitants de la ville d’Issou, dans les Yvelines, le sont aussi certainement. Et ce depuis qu’il y a environ quatre ans, le nom de leur commune a été associé par des internautes surfant sur le site JeuxVideo.com à une forme de délire collectif en ligne, dont il est difficile de retracer la genèse – le gag porterait sur la ressemblance entre « Issou » et la manière dont un humoriste espagnol célèbre sur les réseaux sociaux prononcerait « Jésus » dans sa langue natale.
Depuis, le standard téléphonique de la mairie croule littéralement sous les canulars et appels farfelus ; sur Google Maps, les noms de rue ont été rebaptisés ; et les commerces de la ville sont, tous ou presque, victimes de plaisantins qui déforment les informations les concernant sur Google, en changent le nom ou encore s’amusent en rédigeant des avis fantaisistes. De simples blagues virtuelles qui ont un impact bien réel, certains commerçants d’Issou ayant dû se démener pour prouver que leur échoppe n’était pas fermée ou renommée de manière excentrique. Plusieurs d’entre eux ont porté plainte, mais sans réel espoir de coincer un jour des plaisantins par définition anonymes. Une démonstration de plus de la difficulté qu’éprouvent souvent nos petites communes à se défendre, même face à l’absurde.