Thaïlande : ces poupées-enfant qui créent la polémique

À la tête d’un salon de beauté dans la capitale thaïlandaise, Natsuda Jantaptim s’occupe également de son enfant. Celui-ci porte un nom et participe naturellement à la vie de famille. Cependant, cet enfant n’en est pas un : il s’agît d’une poupée en plastique. L’engouement pour ces poupées alimentent une polémique dans ce pays.

« Nous dormons ensemble dans le même lit, elle a son propre oreiller et ses propres couvertures. Le matin, elle aime boire du lait à la fraise » explique Natsuda Jantaptim à l’AFP, une mère de 45 ans évoquant sa relation avec sa fille Ruay Jang, qui est en réalité une poupée en plastique.

Il est souvent évoqué dans les médias l’application de « solutions » pour combattre la solitude au Japon, mais un fait qui semble s’en approcher alimente la polémique en Thaïlande : l’avènement des poupées surnommées « thep de Luuk » (enfants des anges), dont le prix atteint 600 dollars américains, soit une petite fortune.

Ce phénomène de société a été popularisé il y a environ un an lorsque des célébrités locales vantaient les mérites de ces poupées à qui elles devaient, soi-disant, leur succès professionnel. En Thaïlande, bien que 90 % des locaux pratiquent le bouddhisme, dans la culture du pays se mélangent également des traditions d’origine hindouistes et animistes, ce qui contribue à l’importance des superstitions alimentant l’imaginaire collectif. Par exemple, il n’y a pas de 13e étage dans les immeubles, tandis que les dirigeants politiques font régulièrement appel à des disciplines telles que la voyance et la numérologie. En Thaïlande, il y a donc en toile de fond un certain mysticisme ambiant.

Les adeptes des poupées « thep de Luuk » pensent qu’elles renferment l’esprit d’un véritable enfant et qu’elles doivent donc être traitées comme un enfant. Selon eux, les propriétaires en seront récompensés et cela devient une certitude lorsqu’ils sont bénis par un moine. Ainsi, la superstition l’emporte sur la raison, cette dernière étant reléguée au second plan.

« Depuis que j’ai Ruay Jang, ma vie a vraiment changé. Par exemple, j’ai gagné à la loterie, ce qui ne m’était jamais arrivé auparavant » indique Natsuda Jantaptim, qui a également une fille « bien réelle » de 22 ans.

Le fait est que de plus en plus de Thaïlandais se montrent dans leur vie quotidienne avec ces poupées, que ce soit au cinéma, dans l’avion ou encore au restaurant. Cependant, le pays se divise sur l’opinion concernant cette pratique, bien que cette dernière semble être approuvée par les deux tiers de la population, selon un sondage publié par l’université Suan Dusit Rajabhat de Bangkok. Pour les personnes favorables, il s’agit de quelque chose de positif si cela aide les adeptes à venir à bout de la solitude ou à donner plus de sens à leur vie.

« J’ai peur parfois quand je les vois dans le train », déclare Lakkhana Ole, graphiste à Bangkok.

« Cela prouve que la société est en crise. Si vous vous sentez seul, c’est simple, il suffit de sortir et parler à vos voisins, d’interagir davantage avec les autres, de faire de bonnes choses! » explique Phra Buddha Issara, un moine nationaliste conservateur, également célèbre pour ses déclarations visant à dénoncer les dérives commerciales du bouddhisme thaïlandais.

Un second moine, Phra Ajarn Supachai, ne partage pas cette opinion. Selon lui, le phénomène a débuté il y a trois ans et dans le temple de Bangchak où il officie, une dizaine de personnes viennent chaque semaine avec des poupées où les cérémonies se terminent toujours par une bénédiction « mixte », où humains et poupées se trouvent sur un pied d’égalité, ou presque.

Selon Mae Ning, une amie de Natsuda Jantaptim collectionnant les poupées « thep de Luuk », il s’agit d’une quête de réconfort :

« Certaines personnes sont stressées à cause de l’économie, de la politique, de leur emploi et de leurs finances, alors ils ont envie de s’accrocher à quelque chose » explique-t-elle.

Sources : La DépêcheHuffingtonPost