En 1955, Rosa Parks défiait un chauffeur de bus en refusant de céder sa place à l’avant à un Américain blanc. Avant elle, d’autres hommes et femmes noirs s’étaient toutefois élevés contre les discriminations raciales en Amérique du Nord. Viola Desmond, une Canadienne, fait partie des individus qui ont dit « non » à la ségrégation. Comment cette femme d’affaires à succès est-elle devenue un symbole de résistance des communautés noires au Canada, jusqu’à apparaître sur le billet de dix dollars ? Voici son histoire.
La ségrégation raciale et la femme d’affaires
Par rapport aux États-Unis, la ségrégation était bien plus discrète au Canada. Dans les années 1940, les entreprises privées pouvaient en effet fixer leurs règles discriminantes sans avoir à se justifier devant la loi. Ainsi, des restaurants fermaient leurs portes aux personnes noires, des magasins possédaient des entrées séparées suivant les couleurs de peau, etc. La force de la ségrégation changeait alors selon le lieu. Il fallait donc être familier du coin pour avoir connaissance des règles en vigueur.
Quand sa voiture tomba en panne en novembre 1946 à New Glasgow, Viola Desmond ne connaissait pas très bien cette ville de la Nouvelle-Écosse. Originaire d’Halifax, dans la même province, cette femme d’affaires était en pleine ascension. Elle avait créé une ligne de cosmétique pour femmes de couleur, une école d’esthéticienne réservée aux étudiantes noires et possédait aussi son propre salon de beauté. Arrivée sur place, le garage informa Viola Desmond que son véhicule serait réparé le lendemain. Elle loua une chambre d’hôtel en ville pour la nuit et se rendit au cinéma pour passer une agréable soirée.
L’incident du cinéma Roseland
À l’entrée du cinéma Roseland, le guichetier vendit à Viola Desmond un billet réservé pour personnes noires, ouvrant l’accès uniquement au balcon. La femme d’affaires refusa et alla s’asseoir dans la section dédiée aux blancs, au parterre. Le directeur rentra alors dans la salle et lui demanda de monter à l’étage. Elle refusa à nouveau. L’homme s’agaça et revint cette fois accompagné d’un policier. Ce dernier l’expulsa sans ménagement, la blessant physiquement.
Elle subit ensuite une garde à vue de douze heures qui l’affecta psychologiquement. Le lendemain, elle fut jugée sans aucune lecture de ses droits ni information quant à sa possibilité d’avoir un avocat. Le chef d’accusation était l’évasion fiscale. Par rapport à celui réservé aux personnes noires, le billet pour les blancs était effectivement taxé d’un centime de plus, une somme ridicule dont Viola Desmond ne s’était pas acquittée. Elle fut alors condamnée à une amende.
Viola Desmond fut traînée dans les tribunaux pour s’être élevée contre les mesures de ségrégation. La communauté noire de New Glasgow se mobilisa alors pour la soutenir. The Clairon, premier journal créé par et pour les personnes de couleur, médiatisa l’affaire et organisa des manifestations. Cinq ans plus tôt, ironiquement, Carrie Best, la fondatrice du quotidien, connut une mésaventure similaire dans le même cinéma. Une collecte de fonds réunit assez d’argent pour porter l’affaire de Viola Desmond devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. Néanmoins, le juge débouta sa plainte en 1947. La femme fut anéantie, mais accepta le verdict.
Vers la reconnaissance et le pardon absolu
La tournure des évènements affecta durablement Viola Desmond et sa famille. Son mariage ne survit pas. Elle finit par quitter Halifax pour s’installer à Montréal, puis mourut à New York en 1965. Toutefois, son action galvanisa la résistance et souda les liens entre les individus. Le combat de Viola Desmond marqua ainsi durablement la lutte contre la ségrégation raciale en Nouvelle-Écosse, qui prit fin en 1954. Les autorités lui accordèrent le pardon absolu en 2010. Des parcs et des rues portent à présent son nom dans le pays. Le visage de femme d’affaires à succès orne même les nouveaux billets de dix dollars canadiens, une revanche pour celle qu’on condamna pour un malheureux centime.