Précarité énergétique, ce mal qui touche des millions de Français

précarité énergétique
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Les différentes aides gouvernementales à la rénovation énergétique doivent permettre de lutter contre la précarité énergétique. Du moins, en théorie…

En France, près de 7 millions de personnes seraient en situation de précarité énergétique, selon les derniers chiffres de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). En 2018, 6,8 millions de Français ont ainsi consacré au moins 8 % de leur budget aux dépenses d’énergie. Selon le médiateur national de l’énergie, qui retient le ratio de 15 %, le nombre d’individus ayant souffert du froid l’hiver dernier, serait plutôt de 10 millions. Quant à la Fondation Abbé-Pierre, elle estime que près de 12 millions de Français seraient en situation de précarité énergétique.

D’après la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, « est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou conditions d’habitat ».

Pour ne pas souffrir du froid, certains ménages dépensent des sommes importantes quand d’autres ne peuvent tout simplement pas se chauffer, ce qui crée de facto des situations d’isolement et d’exclusion sociale. « On a honte souvent de dire dans quelles conditions on vit, on refuse des invitations parce qu’on ne sera pas capable de les rendre, on refuse à des personnes de venir et on trouve des stratagèmes pour qu’elles ne voient pas dans quelles conditions on vit », explique Christophe Robert, le directeur général de la Fondation Abbé Pierre.

D’après Isolde Devalière, sociologue à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et cheffe de projet pour l’ONPE, il y aurait ainsi trois profils types, s’agissant des personnes les plus exposées à la précarité énergétique : tout d’abord, les personnes âgées ou en état de fragilité, dont les petites retraites ou pensions ne permettent pas de se chauffer correctement. Ensuite, les personnes à très faibles revenus, dont la principale difficulté est l’isolation du logement – celles qui vont « rechercher des moyens d’améliorer leur confort à moindre coût ». Enfin, les « locataires en détresse, en situation d’‘‘inconfort subi’’ » – les personnes dépendant de propriétaires qui donnent rarement suite à leurs demandes.

Ma Prime Rénov, « Isolation à 1 € »…

Devant cette réalité, le gouvernement a décidé d’agir. Tandis que les ménages aux revenus intermédiaires continueront de bénéficier du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) jusqu’au 1er janvier 2021, les familles plus modestes peuvent désormais bénéficier de MaPrimeRénov’. Une aide versée dès l’achèvement de travaux de rénovation, qu’il est possible de cumuler avec d’autres primes, à hauteur de 20 000 euros sur cinq ans et pour un même logement.

D’après Florence Clément, spécialiste des économies d’énergie au sein de l’ADEME, « dans le cas, par exemple, de l’installation d’un poêle à bûches, l’aide accordée aux ménages très modestes s’élève à 2 000 euros et à 1 200 euros pour un foyer modeste. Pour le même investissement, les ménages intermédiaires ont droit à un crédit d’impôt de 1 000 euros ». En revanche, s’agissant des ménages les plus aisés, il n’y a plus d’aide, puisque le CITE « se limite à quelques travaux d’isolation ainsi qu’à l’installation d’une borne de charge pour véhicules électriques ».

poele à bois
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Cette nouvelle aide vient compléter le programme d’« isolation à 1 € », lancé en 2013 par le ministère de la Transition énergétique, qui permet aux ménages de « sortir des énergies fossiles, d’isoler leur logement et ainsi de diminuer significativement leurs factures de chauffage ». À la différence de MaPrimeRénov, « tous les ménages peuvent bénéficier de cette offre. Les montants de primes attribués seront cependant différenciés en fonction de leurs niveaux de ressources. Les ménages les plus modestes bénéficieront de primes plus importantes », précise le ministère.

Défaut d’informations, incompétences et malfaçons

Seule ombre au tableau, et elle n’est pas des moindres : l’attribution de ces aides n’est pas conditionnée à l’efficacité des travaux d’isolation réalisés. Un manque qui ouvre la voie à de nombreuses dérives. Entre défaut d’informations sur les performances réelles des produits – comme l’a récemment révélé le scandale de l’Isolgate éclaboussant les fabricants de laine de verre – , incompétences des professionnels ou simples travaux bâclés… il y a souvent un fossé entre les attentes des foyers et les résultats en termes de gains énergétiques. Et ce alors même que les différentes aides à l’isolation sont présentées comme la solution pour concilier transition énergétique, baisse d’émissions de gaz à effet de serre et lutte contre la précarité énergétique.

À ce tableau peu reluisant vient s’ajouter un bon nombre d’arnaques. De nombreuses entreprises abusent en effet des ménages dans le besoin, dans le seul et unique but de détourner des fonds publics. Dans le cadre de « l’isolation à 1€ » par exemple, les factures doivent être réglées par les « vendeurs d’énergie » – Engie, Total, EDF, etc. – afin que ces derniers obtiennent des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE) devant être présentés à l’État comme preuve de leur participation à la transition énergétique. Mais aucune vérification du bon déroulement des travaux n’est effectuée. Une fois la signature du devis obtenue, certaines entreprises envoient ainsi la facture aux vendeurs d’énergie concernés afin d’être réglées et ce même si les travaux ont été mal réalisés : isolants mal posés, non-respect des normes de sécurité, ancien isolant encore présent…

La raison de ces malfaçons réside bien souvent dans les entreprises mandatées pour les travaux, qui ne cherchent qu’une chose, être payées, et qui n’hésitent pas, en cas de pépins, à se mettre en faillite pour se recréer sous un nouveau nom et ainsi continuer à profiter du système.

Résultat pour les ménages qui s’en tirent avec des travaux mal faits – ou pas faits (en 2018, près de 30 millions d’euros de travaux fictifs ont été « réalisés ») : une promesse de réduction de leur facture d’énergie illusoire et surtout, l’impossibilité de recourir une seconde fois au dispositif d’« isolation à 1 € », ce qui les oblige dès lors à payer de leurs poches la remise en état de leur logement, bien souvent pour des raisons de sécurité.

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