La Méditerranée est la frontière la plus meurtrière du monde. Entre 2014 et aujourd’hui, 18.601 personnes y ont officiellement disparu, soit entre 2000 et 5000 personnes par an depuis 5 ans. D’après Hugo Grenier, infirmier pour l’association SeaWatch, ce chiffre est totalement sous-estimé. On ne peut que le croire quand on sait que l’association Jugend Rettet, à elle seule avec le Iuventa, a sauvé 14.000 personnes en moins de deux ans. Aujourd’hui, on fait le point sur cette situation qui s’enlise.
« Le sauvetage en mer n’est pas un crime »
“Les gens ne montent pas sur un bateau pour être secourus mais parce qu’ils n’ont plus le choix”, affirme Hugo Grenier, de Sea Watch. “Il faut une solution de répartition pour que ce ne soit pas à l’Italie seulement mais à toute l’Europe de gérer le problème.” Un problème qui selon lui, “se gère aussi à Terre, par les gouvernements.”
“On estime les pertes à environ 1 décès pour 350 personnes quand il n’y a pas de bateau à 1 décès pour 40 personnes quand il y a un bateau”, poursuit-il.
La mairie de Paris a décoré d’une médaille d’honneur Carola Rackete, la capitaine du Sea Watch récemment arrêtée puis libérée par la justice italienne, mais l’hypocrisie continue. Les gouvernements européens, exhortés d’agir par cette héroïne des mers, ne font rien pour permettre aux bateaux des ONG de poursuivre leurs missions de sauvetage.
L’Italie accueille tous les jours de nouveaux migrants tout juste secourus, mais elle ne reçoit pas beaucoup d’aide de la part de ses voisins européens, ce qui a provoqué la colère de Matteo Salvini. Celui-ci s’en prend ouvertement aux associations œuvrant pour le sauvetage des migrants au lieu de s’attaquer aux véritables responsables.
Pourtant, les Nations Unies ont exhorté le ministre italien et les Etats européens “à arrêter de criminaliser le sauvetage en mer”, dans un communiqué du 18 juillet 2019, mais cela n’a eu aucun effet.
Sauvetage des migrants : combien de bateaux sont actuellement actifs ou inactifs ?
La rédaction de Citizenpost a fait le point sur cette question avec Hugo Grenier, infirmier et chargé de communication bénévole pour SeaWatch depuis 2016. Pour résumer la situation, voici un graphique qui montre le nombre de bateaux actifs et inactifs.
Sur 10 bateaux pour 8 ONG présentes en mer Méditerranée, 7 bateaux sont séquestrés à quai ou empêchés de prendre la mer pour une raison juridique.
3 bateaux sont actifs pour 3 associations et 7 bateaux sont séquestrés ou empêchés pour 6 ONG dont 1 bateau d’OpenArms qui a quand même décidé de repartir en mission de sauvetage :
- Sea Watch (Allemagne) : un nouveau capitaine est présent mais le bateau est toujours séquestré, en attente de la décision quant à Carola Rackete.
- Sea Eye (Allemagne) : un bateau actif
- SOS Méditerranée (France, pavillon norvégien) : 1 bateau actif, 1 abandonné, l’Aquarius (faute d’offre pour un pavillon)
- Open Arms (Espagne) : 1 bateau séquestré qui est quand même retourné en mer la semaine dernière. “Je ne peux pas laisser les gens mourir en mer” a déclaré son capitaine.
- Mediterranea (Italie) : 2 bateaux à quai séquestrés sous les mêmes conditions que Sea watch depuis un mois et demi et l’autre depuis une semaine.
- MSH – Salvamiento Maritimo Humanitario (Espagne) : 1 bateau actif (Aita Mari).
- Life line (Allemagne) : 1 bateau séquestré à Malte depuis plus d’un an et sous enquête.
- Jugend Rettet : 1 bateau (Iuventa) séquestré à quai à Lampedusa par les autorités italiennes depuis août 2017. “Entre 2016 et 2017 nous avons effectué 15 missions au cours desquelles nous avons secourus plus de 14.000 personnes du risque de mort”, peut-on lire sur le site de l’ONG.
Les ONG sont régulièrement accusées par les autorités nationales et notamment italiennes d’aide à l’immigration illégale ou clandestine, alors qu’ils ne font qu’appliquer l’obligation de secourir des personnes en danger. Un devoir établi par le Droit international de la Mer, auquel les Etats doivent se soumettre. Aussi, les ONG ont pour obligation de débarquer les personnes secourues dans le port le plus proche et le plus sûr.
Comme l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrants) et le UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) ont récemment admis que les ports libyens ne sont pas sûrs, les Etats européens vont devoir agir.
« Le rôle crucial joué par les ONG doit être reconnu. Les ONG ne devraient pas être criminalisées ni stigmatisées pour avoir sauvé des vies en mer. Les navires de commerce, sur lesquels on compte de plus en plus pour mener des opérations de sauvetage, ne doivent pas être poussés à transférer les personnes secourues auprès des garde-côtes libyens, ni à les faire débarquer en Libye, un pays dépourvu de ports sûrs. », ont déclaré les institutions mondiales sur leur communiqué de presse commun (OIM et UNHCR).
Quelles sont les causes majeures de migration ?
D’après les Nations Unies, le mot « migrant » désigne « toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer ».
Selon la même institution, le terme « réfugié » désigne toute personne qui « se trouve hors de son pays d’origine en raison d’une crainte de persécution, de conflit, de violence ou d’autres circonstances qui ont gravement bouleversé l’ordre public et qui, en conséquence, exigent une protection internationale. »
Aujourd’hui, plusieurs causes sont à l’origine de migrations :
- les problèmes liés à l’environnement comme le manque d’eau ou de nourriture, souvent liés au changement climatique : sécheresse, risques naturels (inondations, tempêtes, glissements de terrain, typhons…);
- les conflits;
- les inégalités économiques : 84% de l’économie mondiale est détenue par les pays du G20 et les 16% restants sont répartis entre 175 pays. Ces inégalités induisent généralement un chômage de masse et la pauvreté, poussant les populations concernées à rechercher un avenir meilleur ailleurs.
- les conditions politiques et le non-respect de droits humains fondamentaux (absence de démocratie, travail des enfants, trafic d’êtres humains, esclavage, mariage forcé, mutilations, xénophobie, racisme, etc.)
Selon le UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), « le nombre de personnes déplacées de force à la fois à l’intérieur des pays et au-delà des frontières à la suite de persécutions, de conflits ou de violences généralisées a augmenté de plus de 50% au cours des 10 dernières années. En 2009, 43,3 millions de personnes avaient été déplacées de force et 70,8 millions à la fin de 2018. »
A propos des migrants environnementaux, l’Organisation internationale pour les migrations prévoit que « d’ici 2050, jusqu’à 143 millions de personnes pourraient migrer en raison de leur environnement. » L’institution précise que « si elle est bien gérée, la migration peut être une stratégie d’adaptation positive pour ceux qui sont affectés par leur environnement ou le changement climatique. »
« Un dispositif de recherche et de sauvetage dirigé par les États membres de l’UE est nécessaire »
Ce 23 juillet 2019 à Paris, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) ont signé un accord de coopération officielle pour continuer à travailler ensemble sur la gestion de la crise migratoire et les demandes d’asile.
Cet accord couvre la coopération des deux institutions dans plusieurs domaines :
- protéger les droits des migrants et gérer les demandes d’asile,
- aider les Etats membres à répondre à leurs obligations et à leurs besoins,
- alerter rapidement les responsables en cas de migrants en danger,
- vérifier les conditions d’accueil des demandeurs,
- gérer les retours vers les pays d’origine, la réinstallation, la relocalisation volontaire et l’aide aux migrants vulnérables ayant des besoins de protection spécifiques.
Ce n’est sûrement pas une coïncidence si le même jour, l’Organisation Internationale pour les Migrants a annoncé avoir trouvé un consensus avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur la nécessité d’agir en Libye et en Méditerranée.
« Le statu quo – avec des opérations de recherche et de sauvetage qui sont souvent laissées aux ONG ou aux cargos commerciaux – ne peut pas continuer. Un dispositif de recherche et de sauvetage dirigé par les États membres de l’UE est nécessaire (…) », peut-on lire sur leur communiqué de presse commun.
Sources citées dans l’article (liens).
Rédaction : Coline Mionnet.