Le groupe Carrefour doit redéfinir sa relation avec son fournisseur JBS au Brésil, dont la responsabilité dans la déforestation de l’Amazonie est pointée par de nombreux témoignages, notamment par une enquête de Médiapart.
Tout le monde se souvient des images de cauchemar de la forêt amazonienne dévorée par les flammes à l’été 2019. Malgré l’émotion mondiale, la forêt amazonienne n’en finit pas de perdre plusieurs centaines de milliers d’hectares de couvert forestier chaque année. Une tragédie irréparable alors que l’Amazonie comptabilise plus de 30 000 espèces de plantes différentes, plus de 2,5 millions d’espèces d’animaux et insectes, et participe directement à réguler le réchauffement climatique.
L’alimentation carnée viendra-t-elle à bout de la plus grande forêt du monde ?
A l’origine de la destruction du poumon de la planète, le développement du secteur agricole et pastoral, qui représente une manne financière importante pour le Brésil, dont les exportations de viande comptent pour une part significative du PIB. Dans ce pays, premier exportateur mondial de viande bovine, l’ampleur de la déforestation se mesure alors à la fluctuation du niveau des exportations de viande.
Un sujet qui mobilise notamment L214 via des actions coup de poing ou campagnes de sensibilisation. Dans l’un de ses rapports, l’association de défense des animaux chiffre à 63% la part de responsabilité de l’élevage dans la déforestation en Amazonie. Ce ne sont pas moins de 800 000 km2 de forêt qui auraient été détruit depuis 40 ans. Mais au-delà de la réduction pure et simple de la superficie de l’Amazonie, la déforestation provoque parallèlement des perturbations sur le climat. Réduction de la biodiversité, émissions de GES à hauteur de 12%, perturbation du cycle de l’eau, sont autant de conséquences de la déforestation sur l’environnement. De prime abord, celles-ci concernent l’écosystème local voire régional. Mais c’est oublier que l’écosystème forestier amazonien possède des fonctions écologiques qui jouent au niveau global. Avec un rôle de stabilisation du climat mondial.
L’élevage bovin couplé à la culture du soja pour le nourrir, l’extension de cette frontière agricole, sont comme certains aiment à la rappeler une bombe écologique à retardement. C’est pourquoi, associations écologiques comme citoyens engagés, appellent à réduire la consommation de viande. C’est entre autres les conclusions du rapport du GIEC qui, déjà en 2014, estimait qu’une consommation modérée d’aliments carnés permettrait de réduire de 36% les émissions de GES d’origine agricole. Moins de consommation, c’est aussi et surtout moins de surfaces nécessaires pour le bétail.
La déforestation, un problème lointain pour des réponses locales
Certains pensent, par convenance ou aveuglement, que la destruction de la forêt amazonienne est de la responsabilité d’entreprises agro-alimentaires brésiliennes. Par conséquent, qu’elles sont les seules à avoir, avec le gouvernement brésilien, les solutions à ce problème environnemental. Plusieurs d’entre elles sont régulièrement pointées du doigt pour être responsable de cette déforestation à marche forcée, car elles en profitent pour étendre leurs cultures et les pâturages suite aux incendies qui ravagent désormais périodiquement l’Amazonie.
Toutefois, nous aurions tort de laisser aux seules entreprises brésiliennes la responsabilité d’endiguer la déforestation. Il s’agit, au contraire, d’un problème mondial avec des solutions transnationales. En effet, la France, via ce qu’on appelle communément “la déforestation importée” a son rôle à jouer. Les produits qu’elle importe et qu’elle consomme contribuent à la déforestation. A cet égard, nos entreprises nationales, par leurs choix et leurs pratiques, peuvent participer à réduire la déforestation. Mais les citoyens aussi ont un rôle à jouer, en mangeant moins de viande par exemple, et en choisissant de la viande d’origine France.
En ce qui concerne la grande distribution, le groupe Carrefour s’approvisionne en viande auprès des agriculteurs brésiliens via son fournisseur JBS et participe alors indirectement à la déforestation. Le groupe dirigé par Alexandre Bompard est en effet solidement implanté au Brésil depuis 2007 avec le rachat de l’enseigne Atacadao, et a encore renforcé sa présence dans le pays en février via l’acquisition de 30 magasins de l’enseigne Makro. Au point que le pays d’Amérique latine représente désormais 20% du chiffre d’affaires du distributeur français.
Carrefour au Brésil : 24 000 tonnes de viande par an
Pour approvisionner les rayons boucherie de ses grandes surfaces à hauteur de 24 000 tonnes de viande de bœuf par an, Carrefour a recours aux services de JBS Friboi, multinationale brésilienne qui représente à elle seule près d’un quart du marché mondial du bœuf.. Méconnue du grand public, l’entreprise abat chaque jour plus de 100 000 porcs, 14 millions de poulets et 80 000 bœufs, à destination du marché mondial. Des capacités de production et donc d’exportation qui font de JBS un acteur incontournable de l’industrie agroalimentaire, et qui de fait lui donne une influence politique non négligeable au Brésil. Des liens politiques qui lui sont d’ailleurs reprochés en témoigne différentes affaires de corruption la concernant.
Malgré des accords répétés, JBS a été dénoncé à de nombreuses reprises par des ONG comme Amazon Watch pour s’être fourni en bêtes auprès de fermiers épinglés pour avoir étendu leurs terres en détruisant des pans entiers de la forêt amazonienne sans autorisation.
A bien des égards, le groupe Carrefour pourrait donc faire pression sur son fournisseur et être ainsi un moteur de la lutte contre la déforestation. D’une part, faire adopter des méthodes d’élevage plus en accord avec l’environnement, et de l’autre accompagner son fournisseur dans le développement de nouvelles pratiques agricoles comme l’agroforesterie. Mais au-delà des enseignes de la grande distribution, les entreprises importatrices de cuir ou encore de bois ont aussi leur rôle à jouer dans la lutte contre la déforestation. Les solutions à la déforestation ne sont donc pas uniquement brésiliennes, mais elles sont aussi françaises, via les pratiques de nos entreprises tricolores, et notre faon de consommer.
A mesure que la population mondiale augmente, ainsi que les besoins, est-ce que le fait de manger moins de viande suffira ? En Amazonie comme ailleurs, les ravages causés à l’écosystème pour accroître la production de viande apparaissent de plus en plus irrémédiables. Sans réflexion collective urgente sur la transition alimentaire vers des alternatives sans viande, un deuil de la plus grande forêt du monde paraît inévitable, tant les multinationales de l’agrobusiness apparaissent prêtes à tous les écocides pour faire prospérer leurs affaires.
Articles liés :
Grand Paris : pourquoi il faut suivre l’exemple de New York et planter 1 million d’arbres
Et s’il devenait un jour interdit de consommer de la viande ?