À mesure que la question environnementale devient de plus en plus incontournable sur la planète, c’est avec un certain cynisme que les puissants et les milliardaires se convertissent soudain au vert. Comme les bourgeois du XIXe devenus soudainement des grenouilles de bénitiers pour justifier leur domination économique par une supériorité morale, les oligarques du monde entier tentent de légitimer leur pouvoir en se présentant comme des champions de l’écologie. Dernière lubie en date : les yachts… écolos. On aurait presque envie d’en rire si la survie de notre écosystème n’était pas en jeu.
Quand les riches veulent sauver le monde, ou plutôt leur image
En 2007, le journaliste Hervé Kempf publiait « Comment les riches détruisent la planète », ouvrage remarquable qui démontrait comment le mode de vie et le modèle de consommation des plus riches — porté en modèle — participait largement à la fuite en avant vers la catastrophe écologique de la société tout entière. Ce style de vie polluant et destructeur d’écosystème qui, par effet d’imitation, avait fini par se répandre dans toute la société. Des gros véhicules polluants aux voyages au bout du monde, c’est finalement toutes les catégories sociales qui tentent depuis des décennies d’imiter les riches et leur mode de consommation déraisonnable.
Treize ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Mais pour justifier les inégalités et la captation des richesses, les oligarques n’hésitent plus à maquiller une partie de leur fortune sous une bonne dose de greenwashing. Les riches continuent d’acheter des grosses berlines ? Oui, mais électriques ! Ils continuent de voyager au bout du monde ? Oui, mais des voyages éco-responsables qu’ils sont les seuls à pouvoir s’offrir.
L’étrange concept du « Yacht écolo »
Dans la même veine, le « Yacht écolo » est le nouveau produit à la mode chez ceux qui cherchent à se pavaner, de Miami à Portofino. En septembre dernier, une journaliste de France Inter se rendait au « Monaco Yacht Show », grand salon mondial sur les dernières innovations en matière de navire de plaisance grand luxe. Et visiblement, l’écologie est tendance dans le milieu, avec une multitude de gadgets qui promettent des yachts plus « verts » : moteurs électriques, meilleur traitement des eaux usées… Une course au greenwahsing, qui frôle l’absurde.
C’est ainsi que l’oligarque Oleg Burlakov, l’une des plus importantes fortunes de Russie, s’est fait bâtir le « Black Pearl », gigantesque voilier long de plus de 100 mètres, pour la coquette somme de 250 millions de dollars. Démesuré ? Oui, mais écologique ! Le bateau est présenté comme pouvant traverser l’océan sans consommer une goutte de carburant, notamment grâce à des voiles connectées (et avec des panneaux solaires invisibles sur les photos).
Un Yacht qui ne rejette pas de CO2, mais que l’oligarque russe tente d’ailleurs actuellement de cacher auprès de la justice de son pays, en le confiant légalement à l’un de ses proches, Nikolaï Kazakov. Selon la presse russe, en pleine instance de divorce, Oleg Burlakov tenterait ainsi de sauvegarder sa fortune et son précieux navire. Preuve s’il en fallait une, que dans le monde des grandes fortunes, l’achat d’une bonne conscience n’est jamais loin d’une inélégance.
Dans un registre pas si éloigné, notons aussi le « Savannah », colossal navire de 83 mètres du milliardaire « suisso-canadien » Lukas Lundin. Un homme d’affaires particulièrement actif dans le secteur minier, notamment en Afrique et dans le secteur du diamant. Un secteur trouble qui n’empêche pas Lukas Lundin d’afficher régulièrement son bateau sur la Côte d’Azur ou en Italie. Il faut dire que son navire, grâce notamment à son moteur électrique « écologique » a été élu « meilleur super yacht du monde » en 2016.
Un dernier pour la route ? Le Yacht « Ice », propriété d’un autre oligarque russe Suleyman Kerimov. Bâti en 2005, il est encore aujourd’hui présenté comme l’un des navires les plus économes en carburant, avec notamment un système de propulsion à la pointe de la technologie. Une « touche » d’écologie qui n’empêche pas la présence à bord du navire de plusieurs jet-skis… et d’un hélicoptère. Une légère incohérence qui ne doit pas perturber le richissime milliardaire, impliqué dans plusieurs affaires de fraudes fiscales.
Le « Yacht écologique » est donc bien l’un des derniers avatars d’un système économique absurde qui tente de rester en place, malgré la colère sociale et la catastrophe climatique. Pas sûr que cela suffise à faire illusion auprès des peuples.
Articles liés :